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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/235

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Te plaire est le meilleur ; le mien, conséquemment,
Est mauvais… Toutefois, ne pourrais-je humblement,
Te soumettre un petit problème ?
— Parle. — Ce n’est pas d’aujourd’hui
Que péniblement je me traîne,
Vieux et cassé, sultan, dans ma marche incertaine ;
Ma faiblesse a besoin d’appui.
Or, j’ai deux roseaux de la Chine :
Plus ferme qu’un bâton, l’un ne sait pas plier ;
L’autre, élégant, léger, droit comme un peuplier,
Est plus souple qu’une badine.
Lequel choisir ? — Lequel ?… Roustan, je ne crois pas
Qu’un flexible bambou puisse assurer nos pas.
— Tu le crois ! lorsque tu m’arraches
Ton sceptre affermi par mes mains,
Pour le livrer à des faquins
Sans caractère et sans moustaches. »

Rois, vos ministres sont, pour vous,
Ce qu’est, pour nous, le jonc dont l’appui nous assiste ;
Je le dis des vizirs ainsi que des bambous,
On ne peut s’appuyer que sur ce qui résiste.

Lisez, les unes après les autres, les cent-cinquante fables de M. Arnault, et, dans toutes, vous trouverez la même facilité, le même trait, la même allure frondeuse. Lorsque vous les aurez lues, vous ne direz certes pas de l’auteur : « C’est un bon homme ; » mais, à coup sûr, vous direz : « C’est un honnête homme. »

En 1815, M. Arnault avait donc été exilé. Pour quel motif ? C’était si peu important, qu’on ne s’en était pas préoccupé ; on avait mis son nom sur la liste, et voilà tout ! Et qui avait signé cette liste ? Louis XVIII, autrefois Monsieur, c’est-à-dire ce même comte de Provence, près duquel le poëte avait commencé sa carrière, et auquel il avait dédié son Marius.

Or, comme il n’y avait point de motif pour qu’on exilât M. Arnault, l’esprit de parti en avait inventé un, et l’on disait qu’il était proscrit en qualité de régicide ; mais il y avait deux raisons péremptoires pour que cela ne fût pas : la première