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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 3.djvu/302

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

En outre, il plaçait chez Cambacérès le neveu de Luce de Lancival, Harel, dont il faisait un sous-préfet en 1815.

Baour-Lormian, lui aussi, eut une pension de six mille livres, témoin la spirituelle plainte qu’il porta aux Bourbons sur les persécutions de l’usurpateur, qui avait poussé le despotisme « jusqu’à le flétrir d’une pension de deux mille écus, » qu’il n’avait pas osé refuser, ajoutait-il, avouant sa faiblesse.

Un jour, — c’était au moment des bruits de guerre de 1809, — une ode commençant par cette strophe tomba entre les mains de Napoléon :

« Suspends ici ton vol… D’où viens-tu, Renommée ?
Qu’annoncent tes cent voix à l’Europe alarmée ?…
— Guerre ! — Et quels ennemis veulent être vaincus ?
— Russe, Allemand, Suédois déjà lèvent la lance ;
Ils menacent la France !
— Reprends ton vol, déesse, et dis qu’ils ne sont plus ! »

Ce début le frappa.

— De qui sont ces vers ? demanda-t-il.

— De M. Lebrun, sire.

— A-t-il déjà une pension ?

— Oui, sire.

— Ajoutez une seconde pension de cent louis à celle qu’il a déjà.

Et on ajouta cent louis à la pension que touchait déjà Lebrun, qu’on appelle Lebrun-Pindare, parce qu’il a fait dix mille vers dans le genre de ceux-ci :

La colline qui vers le pôle
Domine d’antiques marais[1],
Occupe les enfants d’Éole[2]
À broyer les dons de Cérés[3] ;

  1. Montmartre.
  2. Le vent.
  3. Le blé.