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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/104

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

jalousies que son génie lui a faites ; hyènes qui l’escortent dans sa route nocturne, qui n’osent point l’attaquer, s’il reste ferme et debout, mais qui s’élancent sur lui, du moment où il chancelle, mais qui le dévorent, du moment où il tombe.

Byron comprit qu’il lui fallait céder la place à ses ennemis quitter l’Angleterre, et aller chercher de la force contre ses concitoyens dans l’impartialité de l’étranger.

Le 25 avril 1816, il partit. Pendant les six ans qu’il venait de passer à Londres, il avait publié les deux premiers chants de Childe Harold, le Giaour, la Fiancée d’Abydos, le Siége de Corinthe, Lara et le Corsaire.

Il partit, et ses adieux les plus tristes furent pour sa femme, qui l’exilait ; pour sa fille, qu’il avait à peine entrevue, et qu’il ne devait pas revoir.

Adieu ! et, si c’est pour toujours, eh bien, soit ! pour toujours, adieu ! C’est en vain que tu refuses de me pardonner ; jamais mon cœur ne se révoltera contre toi.

Hélas ! que ne peut-il s’ouvrir à tes yeux, ce cœur sur lequel tu as si souvent reposé ta tête, alors que tu dormais de ce paisible sommeil dont tu ne dormiras plus ! Que ne peux-tu connaître ses plus secrètes pensées ! alors tu avouerais que tu es injuste en le méprisant ainsi.

Ainsi donc, nous allons vivre éloignés ; ainsi donc, chaque matin nous réveillera sur une couche veuve et solitaire ! Quand tu chercheras à te consoler en te rapprochant de ta fille, quand ses premiers mots frapperont ton oreille, ces premiers mots que tu lui apprendras à balbutier seront-ils ceux-ci : « Mon père… » son père ! dont elle ne recevra jamais les caresses ? Quand ses petites mains te serreront contre elle, quand ses lèvres iront chercher les tiennes, pense à celui qui fera éternellement des vœux pour ton bonheur, et, si les traits de notre enfant ressemblent à celui que tu ne dois plus revoir, eh bien, peut-être à leur vue ton cœur, se souvenant de moi, palpitera-t-il encore pour moi !

Voilà pour la mère, et, maintenant, voici pour la fille :

Ressembleras-tu à ta mère, ô mon cher enfant, mon Ada, seule fille de mon cœur, seule espérance de ma maison ? Lorsque je contemplai