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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/103

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La lune de miel s’était passée chez sir Noël Milbanke ; après quoi, les jeunes époux allèrent dans leur maison de Piccadilly. Mais, là, commencèrent les tourments du ménage. Les dix mille livres sterling de dot de miss Milbanke n’avaient fait qu’irriter les créanciers de lord Byron ; c’est une race qui arrive parfois à s’endormir, quand on ne lui donne rien du tout, car, alors, elle désespère ; mais les à-compte la réveillent et la rendent féroce. Alléchés par les deux cent quarante mille francs qu’ils avaient touchés, les créanciers ne laissèrent plus aux mariés un moment de repos ; au fur et à mesure que ces tracasseries augmentaient, les relations des deux époux devenaient plus rares et plus froides. Enfin, au moment où son mari était le plus malheureux, où son titre seul de pair le sauvait de la prison, lady Byron quitta Londres, sous le prétexte de visiter son père. Les adieux furent convenables, affectueux même ; les deux époux devaient se réunir un mois après. Pendant le voyage, lady Byron écrivit une lettre fort tendre à son mari ; puis, un matin, lord Byron apprit, par son beau-père, sir Ralph Milbanke, qu’il lui fallait renoncer à l’espoir de jamais revoir sa femme et sa fille.

D’où vint cette triste rupture, qui, malgré les prières de Byron, se termina par un divorce ? Le poëte l’attribua à l’influence de mistress Charlment, gouvernante de lady Byron, et il fit contre elle cette satire terrible qui a pour titre : Esquisse d’une vie privée.

Alors, de tous côtés, s’éleva contre celui qui, à force de génie, avait déjà vaincu ce que l’on pourrait appeler une première coalition, une clameur immense venant à la fois du monde et des journaux. Il y a, comme cela, dans la vie des hommes haut placés, et, par conséquent, placés en vue de tous, de ces tempêtes inattendues dont on ne soupçonne pas l’existence au moment même où elles s’amassent sur la tête menacée. Pareilles à des trombes, elles s’abattent, alors, sur le poëte, qu’il se nomme Schiller ou Dante, Ovide ou Byron, se prennent à tout, mordent au corps et au cœur, tordent sa renommée, renversent sa réputation, déracinent son honneur ; ces tempêtes sont composées des inimitiés, des haines, des