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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/11

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

trice régnante et pour l’impératrice mère, mademoiselle Georges, précédée d’un immense succès, débuta au théâtre de Pétersbourg.

Il va sans dire qu’au théâtre de Pétersbourg, on jouait l’ancien répertoire surtout. Alexandre enlevait à Napoléon ses acteurs ; mais, hélas ! il ne pouvait guère lui enlever ses poëtes ; les poëtes étaient trop rares en France pour que Napoléon n’eût pas l’œil sur ceux qu’il possédait.

Chateaubriand et madame de Staël, les deux grands poëtes de l’époque, erraient bien à l’étranger ; mais ce n’étaient pas des poëtes dramatiques.

On jouait donc Mérope, Sémiramis, Phèdre, Iphigénie et Andromaque, à Pétersbourg, avec plus d’acharnement encore qu’on ne les jouait à Paris.

Cependant, si la littérature restait en route, la politique allait son train.

Napoléon avait conquis la Prusse en une vingtaine de jours ; il avait daté de Berlin son décret sur le blocus continental, et avait fait son frère Jérôme roi de Westphalie, son frère Joseph roi d’Espagne, son frère Louis roi de Hollande, son beau-frère Murat roi de Naples, son beau-fils Eugène vice-roi d’Italie.

En échange, il avait défait une impératrice.

Joséphine, reléguée à la Malmaison, avait cédé la place à Marie-Louise. Ce grand conquérant, ce grand stratégiste, ce grand politique n’avait pas remarqué que, toutes les fois qu’un roi de France touchait la main de l’Autriche, il lui arrivait malheur.

Quoi qu’il en soit, l’avenir terrible était encore caché dans les drapeaux d’or de l’espérance. Le 20 mars 1811, Marie-Louise avait donné, en présence de vingt-trois personnes, la naissance à un enfant sur la tête blonde duquel son père avait posé la couronne que, dix-neuf siècles auparavant, Antoine avait offerte à César.

L’Europe, à cette époque, avait, comme les mers du Nord, entre deux gigantesques tempêtes, des jours de calme, pendant lesquels elle reflétait la poésie.