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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 4.djvu/161

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Le premier mauvais tour que fit le nouveau commissaire du roi à ses protecteurs fut de faire jouer le Sigismond de Bourgogne, de M. Viennet, et le Camille, de M. Lemercier.

Il va sans dire que ces deux pièces tombèrent à plat.

Cela ne découragea point M. Lemercier. Il résolut de changer de genre, et commença un mélodrame intitulé le Masque de poix.

Cela exalta M. Viennet, qui, au lieu de changer de genre, comme son honorable confrère, et résolu, au contraire, à faire triompher le sien, se mit à lire, dans les salons, un Achille fait depuis vingt ans, et reçu depuis dix.

— N’est-ce pas que mon Achille est bien colère ? disait-il à M. Arnault après une de ces lectures. — Oui, colère comme un dindon ! répondit M. Arnault.

Au reste, peu d’hommes faisaient plus beau jeu à la riposte que M. Viennet. C’était une véritable quintaine, à l’exception qu’il ne rendait pas le coup quand on le manquait. Il est vrai qu’il offrait une belle surface, et qu’on le manquait rarement.

Un jour, chez Nodier, il s’approche de Michaud.

— Dites donc, Michaud, fit-il avec cet air qui n’appartient qu’à lui, je viens de finir un poëme de trente mille vers. Que dites-vous de cela ?

— Je dis qu’il faudra quinze mille hommes pour le lire, répondit Michaud.

Un autre jour, dans un dîner, M. Viennet attaquait Lamartine.

— Un fat, disait-il, qui se croit le premier homme politique de son époque, et qui n’en est pas même le premier poëte !

— En tout cas, répondit madame Gay de l’autre bout de la table, il n’en est pas non plus le dernier, la place est prise.

— M. Viennet, outre tout ce qu’il a écrit en vers, — fables, comédies, tragédies, épîtres, poëmes épiques, — a écrit en prose deux lettres qui sont deux modèles.

Nous les citons entières et textuellement ; l’analyse n’en donnerait pas une idée.