apprirent que, pendant un quart d’heure, ils avaient, suivant l’expression de M. de Salvandy, « dansé sur un volcan. »
Nous avons dit que l’empereur Alexandre avait coutume de se promener seul dans les rues de Saint-Pétersbourg ; c’était encore une habitude qu’il appliquait à ses voyages.
Un jour qu’il parcourait ainsi la Petite-Russie, l’empereur arrive dans une bourgade, et, tandis qu’on change de chevaux, il saute à bas de sa voiture, annonçant aux postillons qu’il désire marcher un peu à pied, et les invitant, en conséquence, à ne pas se presser. Puis, seul, et vêtu d’une redingote militaire ne portant aucun insigne, il commence sa promenade. Arrivé au bout du village, deux chemins se présentent à sa vue ; ignorant lequel il doit prendre, il s’approche d’un homme vêtu d’une capote militaire à peu près pareille à la sienne.
Cet homme fumait sa pipe, assis sur un banc à la porte de sa maison.
— Mon ami, s’informe l’empereur, laquelle de ces deux routes dois-je prendre ?
À cette question, l’homme à la pipe toise le questionneur des pieds à la tête, et, stupéfait qu’un simple voyageur ose parler avec cette familiarité à un homme de son importance, — en Russie surtout, où la différence des grades établit une si grande distance entre les supérieurs et les subordonnés, — il laisse, entre deux bouffées de fumée, tomber dédaigneusement ces mots :
— La route à droite.
L’empereur comprend la cause de cet orgueil bien légitime, et, s’approchant de l’homme à la pipe :
— Pardon, monsieur, lui demande-t-il en portant la main à son chapeau, encore une question, s’il vous plaît ?…
— Laquelle ?
— Permettez-moi de vous, demander quel est votre grade dans l’armée ?
— Devinez.
— Mais… monsieur est peut-être lieutenant ?