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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/267

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Seuls, dans un lieu royal, côte à côte marchant,
Deux hommes, par endroits du coude se touchant,
Causaient… Grand souvenir qui dans mon cœur se grave !
Le premier avait l’air fatigué, triste et grave,
Comme un trop faible front qui porte un lourd projet.
Une double épaulette à couronne chargeait
Son uniforme vert à ganse purpurine,
Et l’Ordre et la Toison faisaient, sur sa poitrine,
Près du large cordon moiré de bleu changeant,
Deux foyers lumineux, l’un d’or, l’autre d’argent.
C’était un roi, vieillard à la tête blanchie,
Penché du poids des ans et de la monarchie !
L’autre était un jeune homme étranger chez les rois,
Un poëte, un passant, une inutile voix…

Dans un coin, une table, un fauteuil de velours
Miraient dans le parquet leurs pieds dorés et lourds ;
Par une porte en vitre, au dehors, l’œil, en foule,
Apercevait au loin des armoires de Boule,
Des vases du Japon, des laques, des émaux
Et des chandeliers d’or aux immenses rameaux.
Un salon rouge orné de glaces de Venise,
Plein de ces bronzes grecs que l’esprit divinise,
Multipliait sans fin ses lustres de cristal ;
Et, comme une statue à lames de métal,
On voyait, casque au front, luire, dans l’encoignure,
Un garde argent et bleu, d’une fière tournure.

Or, entre le poëte et le vieux roi courbé,
De quoi s’agissait-il ?
D’un pauvre ange tombé
Dont l’amour refaisait l’âme avec son haleine :
De Marion, lavée ainsi que Madeleine,
Qui boitait et traînait son pas estropié,
La censure, serpent, l’ayant mordue au pied.

Le poëte voulait faire, un soir, apparaître
Louis-Treize, ce roi sur qui régnait un prêtre ;
Tout un siècle : marquis, bourreaux, fous, bateleurs ;
Et que la foule vînt, et qu’à travers les pleurs,