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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/268

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Par moments, dans un drame étincelant et sombre,
Du pâle cardinal on crût voir passer l’ombre.

Le vieillard hésitait. — Que sert de mettre à nu
Louis-Treize, ce roi, chétif et mal venu ?
À quoi bon remuer un mort dans une tombe ?
Que veut-on ? où court-on ? sait-on bien où l’on tombe ?
Tout n’est-il pas déjà croulant de tout côté ?
Tout ne s’en va-t-il pas dans trop de liberté ?
N’est-il pas temps plutôt, après quinze ans d’épreuve,
De relever la digue et d’arrêter le fleuve ?
Certe, un roi peut reprendre alors qu’il a donné.
Quant au théâtre, il faut, le trône étant miné,
Étouffer des deux mains sa flamme trop hardie ;
Car la foule est le peuple, et d’une comédie
Peut jaillir l’étincelle aux livides rayons
Qui met le feu dans l’ombre aux révolutions !
Puis il niait l’histoire, et, quoi qu’il en puisse être,
À ce jeune rêveur disputait son ancêtre ;
L’accueillant bien, d’ailleurs ; bon, royal, gracieux,
Et le questionnant sur ses propres aïeux.

Tout en laissant aux rois les noms dont on les nomme,
Le poëte luttait fermement, comme un homme
Épris de liberté, passionné pour l’art,
Respectueux pourtant pour ce noble vieillard.
Il disait : « Tout est grave, en ce siècle où tout penche.
L’art, tranquille et puissant, veut une allure franche.
Les rois morts sont sa proie ; il faut la lui laisser.
Il n’est pas ennemi ; pourquoi le courroucer
Et le livrer, dans l’ombre, à des tortionnaires,
Lui dont la main fermée est pleine de tonnerres ?
Cette main, s’il l’ouvrait, redoutable envoyé,
Sur la France éblouie et le Louvre effrayé,
On s’épouvanterait — trop tard, s’il faut le dire, —
D’y voir subitement tant de foudres reluire !
Oh ! les tyrans d’en bas nuisent au roi d’en haut.
Le peuple est toujours là qui prend la muse au mot,
Quand l’indignation, jusqu’au roi qu’on révère,
Monte du front pensif de l’artiste sévère !