Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/284

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
281
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

Michelot, tout au contraire de mademoiselle Mars, était poli, presque louangeur ; mais, comme, dans le fond de l’âme, il nous détestait, à l’heure de la lutte, au lieu de combattre loyalement et vaillamment, ainsi que faisait mademoiselle Mars, il passait sournoisement à l’ennemi, indiquant d’un coup d’œil aux tirailleurs du parterre l’endroit faible, le moment opportun.

Beaucoup de vers furent pris dans le rôle de Michelot, qu’un acteur moins complaisant pour le public n’eût pas laissé prendre. — Au reste, avant la représentation, nous avions fait une rude guerre aux choses hasardées qui se trouvaient dans le rôle de don Carlos ! je me rappelle, entre autres, avoir, tout en le regrettant fort, fait couper à Hugo un quatrain auquel Michelot paraissait tenir beaucoup ; je me suis expliqué pourquoi, depuis.

Ces quatre vers appartenaient à ce charmant grotesque qui est propre à Hugo, et qui n’est à personne que lui.

Au moment où Ruy Gomez de Sylva rentre chez sa nièce et est sur le point d’y surprendre don Carlos et Hernani, ce dernier, qui craint pour la réputation de doña Sol, veut faire cacher le roi et se cacher lui-même dans l’armoire fort étroite d’où don Carlos vient de sortir, et où il était déjà très-mal étant tout seul ; mais le roi se révolte contre la proposition. Est-ce donc, dit-il,

Est-ce donc une gaîne à mettre des chrétiens ?
Nous nous pressons un peu ; vous y tenez, j’y tiens.
Le duc entre et s’en vient vers l’armoire où nous sommes,
Pour y prendre un cigare… Il y trouve deux hommes !

Ces vers, qui, pour faire leur effet comique, devaient être jetés avec la gaieté et la désinvolture d’un roi de dix-neuf ans en bonne fortune, — notez que Charles-Quint n’a que dix-neuf ans lorsqu’il est nommé empereur d’Allemagne, — ces vers étaient déclamés du même ton que Mahomet disant :

Si j’avais à répondre à d’autres que Zopyre,
Je ne ferais parler que le Dieu qui m’inspire ;