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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/287

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

roles attribuées à la Fayette, comme les mots d’Harel et de Montrond étaient attribués à M. de Talleyrand :

— Le duc d’Orléans, c’est la meilleure des républiques.

On chargea Odilon Barrot d’aller au Palais-Royal donner contre-ordre.

Odilon Barrot, comme tout le monde, dormait peu depuis trois jours, il était écrasé de fatigue ; il descendit, trouva une foule si pressée, une chaleur si dévorante, qu’il demanda un cheval.

On s’empressa d’aller lui en chercher un.

Lui, pendant ce temps, s’accommoda sur une borne, et s’y endormit.

On le chercha une heure avant de le retrouver ; et, au moment où on le retrouva, au moment où il se mit en selle, la tête du cortège débouchait sur la place de Grève.

J’ai beaucoup vu et beaucoup suivi des yeux Odilon Barrot à l’hôtel de ville. Je déclare qu’il est impossible d’être plus froidement courageux qu’il ne l’était.

Le duc d’Orléans arrivait donc ; il abordait donc la place de Grève ; il entrait donc en pleine révolution. Le poitrail de son cheval ouvrait la foule comme la proue d’un bateau ouvre les vagues. Il se faisait autour de lui un silence glacé. Il était très-pâle.

Un jeune homme plus pâle que lui encore l’attendait sur les marches de l’hôtel de ville, les bras croisés, tenant caché sur sa poitrine un pistolet. Il avait pris cette résolution terrible de tirer sur le prince à bout portant.

— Ah ! tu veux jouer le rôle de Guillaume le Taciturne, avait-il dit ; tu finiras comme lui !

Un de ses amis se tenait à ses côtés.

Au moment où le duc d’Orléans, mit pied à terre et monta les degrés de l’hôtel de ville, cet autre Balthasar Gérard fit un pas en avant ; mais son compagnon l’arrêta.

— Ne te compromets pas inutilement, lui dit-il, ton pistolet est déchargé.

— Et qui l’a déchargé ?

— Moi.

Et il entraîna son ami.