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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/98

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

On se rappelle qu’en 1827 ou 1828, madame de Celles, fille du général Gérard, étant souffrante de la poitrine, avait demandé à madame de Leuven de lui indiquer un jeune médecin qui pût l’accompagner en Italie, et que madame de Leuven lui avait indiqué Thibaut. Celui-ci avait fait le voyage avec la belle malade, qui s’était trouvée à merveille et du voyage et du médecin ; si bien qu’au retour, le général Gérard, reconnaissant des soins que Thibaut avait donnés à sa fille, l’avait admis dans l’intimité de la maison.

Thibaut, au nom du général Gérard, allait, quand je le rencontrai, trouver M. le baron de Vitrolles, afin de l’engager à tenter une démarche conciliatrice près de M. de Polignac, et, s’il le fallait, près du roi lui-même.

Ainsi les esprits sérieux commençaient à entrevoir la gravité de là situation.

Voilà ce que ne pouvait me dire Thibaut au moment où nous nous rencontrâmes, et ce qu’il m’apprit plus tard.

Huit heures sonnaient à l’horloge de la Bourse ; je voulus regagner mon faubourg Saint-Germain ; mais, en entrant par un bout dans la rue Vivienne, je vis, à l’autre bout, apparaître des baïonnettes.

J’aurais pu m’en aller par la rue des Filles-Saint-Thomas, la curiosité me retint. Je battis en retraite jusqu’au café du théâtre des Nouveautés. Autant que je puis me le rappeler, il était tenu par un nommé Gobillard, excellent garçon, notre camarade à tous.

La troupe avançait d’un pas régulier, tenant toute la largeur de la rue, et poussant devant elle hommes, femmes, enfants.

Les gens refoulés par les soldats marchaient à reculons en criant :

— Vive la ligne !

Par les fenêtres ouvertes, les femmes agitaient leur mouchoir en criant :

— Ne tirez pas sur le peuple !

Parmi les hommes que la troupe chassait ainsi, il y avait de ces types qu’on ne voit apparaître au jour qu’à certaines