Aller au contenu

Page:Dumas - Mes mémoires, tome 6.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

heures, de ces hommes qui mettent en branle les émeutes et les révolutions, et que l’on pourrait appeler les hommes du commencement.

En arrivant sur la place de la Bourse, le front des troupes se développa ; cependant, comme il ne put embrasser toute la largeur de la place, une portion de ceux qui poussaient les soldats déborda sur les deux ailes, et reflua derrière eux.

Il y avait auprès du bâtiment de la Bourse une mauvaise baraque en planches qui servait de corps de garde. Le régiment y laissa une douzaine d’hommes, comme dans un blockhaus, et disparut à l’extrémité de la rue Vivienne, en tournant du côté de la Bastille.

À peine le régiment eut-il disparu, que quelques gamins s’approchèrent des soldats restés dans le corps de garde, en criant :

— Vive la Charte !

Tant que les gamins ne firent que crier, les soldats eurent patience ; mais, après les cris, vinrent les pierres.

Un soldat atteint d’une pierre fit feu ; une femme tomba. C’était une femme d’une trentaine d’années.

Les cris « Au meurtre ! » retentirent ; en un instant, la place fut évacuée, les lumières furent éteintes, les boutiques fermées.

Le théâtre des Nouveautés seul était resté éclairé et ouvert ; on y jouait la Chatte blanche ; ceux qui étaient dedans ne savaient pas ce qui se passait dehors.

Une petite troupe d’une douzaine d’hommes déboucha en ce moment de la rue des Filles-Saint-Thomas. Elle était conduite par Étienne Arago, et criait :

— Pas de spectacle ! fermez les théâtres ! on égorge dans les rues de Paris !…

Elle vint se heurter contre le cadavre de la femme tuée.

— Portez ce cadavre sur les marches du péristyle, afin que tout le monde le voie, dit Étienne ; je vais faire évacuer la salle…

Un instant après, en effet, la salle était évacuée, et le flot