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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/173

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

était la seule pièce qui bravât l’émeute et la chaleur par une moyenne de douze à quinze cents francs de recette.

Mais il y avait une telle stagnation dans les affaires, une telle crainte répandue dans le commerce de librairie, que ces mêmes éditeurs qui m’avaient offert six mille francs d’Henri III et douze mille francs de Christine, osaient à peine m’offrir d’imprimer Antony à moitié frais et de compte à demi. Je fis imprimer la pièce, non pas à moitié frais avec un libraire, mais bien à mes frais tout entiers.

Il n’y avait pas moyen pour moi de rester plus longtemps à Paris : les émeutes me mangeaient beaucoup trop de temps et d’argent. Antony ne rapportait pas assez pour entretenir un homme sur le pied de guerre ; et puis j’étais aiguillonné du démon poétique, qui me poussait à faire quelque chose de nouveau.

Mais le moyen de travailler à Paris, au milieu des réunions de la Grande-Chaumière, des dîners aux Vendanges de Bourgogne, et des procès en cour d’assises ?

Je m’abouchai avec Cavaignac et Bastide ; j’appris qu’il n’y aurait rien de sérieux à Paris pendant six mois ou un an, et, j’obtins un congé d’un trimestre.

Seulement, deux motifs me retenaient encore, à Paris : la première représentation de la Maréchale d’Ancre et les débuts d’Henry Monnier.

De Vigny, qui n’avait encore hasardé au théâtre que sa traduction d’Othello, dont j’ai parlé en son temps, allait y faire sa véritable entrée par la Maréchale d’Ancre.

C’était un beau sujet ; j’avais, été sur le point de le traiter. J’y avais renoncé parce que mon bon et savant ami Paul Lacroix, plus connu alors sous le nom de bibliophile Jacob, avait commencé un drame sur le même sujet.

Louis XIII, cet enragé chasseur à la pie-grièche, échappant à la tutelle de sa mère par un crime, proclamant sa majorité au bruit de la pistolade qui tue le favori de Marie de Médicis, décidant cette infâme action tout en jouant aux échecs avec son favori de Luynes, plus vieux que lui de deux ans à peine ; ce monarque, timide au conseil et brave à l’armée, véritable