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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 8.djvu/212

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

De l’invariable programme adopté par le gouvernement, il résulte que tout élève du Conservatoire, après trois ans d’études, sort de la rue Bergère incapable de jouer et la littérature vivante et la littérature étrangère ; sachant le songe d’Athalie, le récit de Théramène, le monologue d’Auguste, la scène de Tartufe et d’Elmire, celle du Misanthrope et d’Oronte, celle de Gros-René et de Marinette, mais ignorant complètement qu’il existât à Athènes des gens qui s’appelaient Eschyle, Euripide, Sophocle et Aristophane, à Rome, des gens qui s’appelaient Ennius, Plaute, Térence et Sénèque ; en Angleterre, des gens qui s’appelaient Shakspeare, Otway, Sheridan et Byron ; en Allemagne, des gens qui s’appelaient Gœthe, Schiller, Iffland, Kotzebue ; en Espagne, des gens qui s’appelaient Guilhem de Gastro, Tirso de Molina, Calderon et Lope de Vega ; en Italie, des gens qui s’appelaient Machiavel, Goldoni, Alfieri ; que ces hommes ont laissé, à travers vingt-quatre siècles et cinq peuples différents, une traînée lumineuse dont chaque étoile s’appelle l’Orestie, Alceste, Œdipe à Colone, les Chevaliers, l’Aululaire, l’Eunuque, Hippolyte, Roméo et Juliette, Venise sauvée, l’École du scandale, Manfred, Gœtz de Berlichingen, Intrigue et Amour, les Pupilles, Misanthropie et Repentir, le Cid, Don Juan, le Chien du jardinier, le Médecin de son honneur, le Meilleur Alcade, c’est le Roi, la Mandragore, le Bourru bienfaisant, Philippe II ! Et remarquez que je ne cite qu’un chef-d’œuvre par chacun de ces hommes ; — de sorte que les élèves du Conservatoire sont parfaitement gauches, déplacés, impossibles sur tout autre théâtre, que celui qui joue Molière, Racine et Corneille ; — et encore !… Aussi aucun des grands artistes de notre époque n’est-il sorti du Conservatoire ; ni Talma, ni Mars, ni Firmin, ni Potier, ni Vernet, ni Rachel, ni Frédérick Lemaître, ni Bocage, ni Dorval, ni Mélingue, ni Arnal, ni Numa, ni Bressant, ni Déjazet, ni Rose Chéri, ni Duprez, ni Masset, ni aucune sommité enfin.

Que dites-vous d’un moulin qui tourne, qui fait tic tac, et qui ne moud pas ?

Eh bien, le même vice existe pour l’École de Rome que pour