Page:Dumas - Mes mémoires, tome 9.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
33
MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

connaît ! sa parole d’honneur, dis-je, que, si la coupole de la Madeleine était peinte, ce serait lui, Delaroche, qui la peindrait. Sur cette assurance, Delaroche partit joyeux pour Rome, emportant une espérance devenue sa vie. Cette œuvre, c’était son œuvre capitale, c’était sa chapelle Sixtine, à lui.

Il arrive à Rome ; il s’enferme, comme Poussin, dans un couvent de camaldules, copie des têtes de moine, fait des études prodigieuses, des esquisses admirables, les esquisses de Delaroche valent souvent mieux que ses tableaux, — peint le jour, dessine la nuit, et revient avec des montagnes de matériaux.

En arrivant, il apprend que la coupole est donnée à Ziégler !

Comme moi après l’interdiction d’Antony, il prend un cabriolet, force la porte de M. Thiers, le trouve dans son cabinet, s’arrête devant son bureau.

— Monsieur le ministre, je ne viens pas vous réclamer le travail que vous m’aviez promis ; je viens vous rendre les vingt-cinq mille francs que vous m’avez avancés.

Et, jetant les vingt-cinq mille francs en billets de banque sur le bureau du ministre, il salue et sort.

C’était, digne, c’était noble, c’était grand ! mais ce fut douloureux.

La tristesse de Delaroche, disons mieux, sa misanthropie, date de ce jour-là.

CCXX

Eugène Delacroix.

Eugène Delacroix avait exposé au salon de 1831 ses Tigres, sa Liberté, sa Mort de l’évêque de Liége.

Remarquez-vous comme la grave et misanthropique figure de Delaroche se trouve bien encadrée entre Horace Vernet, qui est la vie et le mouvement, et Delacroix, qui est le sentiment, l’imagination et la fantaisie ?

Voilà un peintre dans toute la force du terme, à la bonne