— Décrochez un tableau de votre galerie, peu importe lequel, pourvu qu’il ait appartenu à Votre Altesse. Faites mettre au bas : « Donné par le prince royal à Victor Hugo, » et envoyez-lui cela.
— Eh bien, soit ! Mieux encore : cherchez-moi, chez un peintre de vos amis, un tableau qui puisse plaire à Hugo ; achetez-le, faites-le-moi apporter, et je le lui donnerai. Il y aura ainsi deux contents au lieu d’un : le peintre à qui je l’achèterai, le poëte à qui je le donnerai.
— J’ai votre affaire, monseigneur, dis-je au prince.
Je pris mon chapeau, et sortis tout courant. Je pensais au Marino Faliero de Delacroix.
Je traversai les ponts, je montai les cent dix-sept degrés de l’atelier de Delacroix, qui logeait alors quai Voltaire, et je tombai dans son atelier tout essoufflé.
— Vous voilà ! me dit-il. Pourquoi diable avez-vous monté si vite ?
— J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer.
— Bon ! fit Delacroix ; laquelle ?
— Je viens vous acheter votre Marino Faliero.
— Ah ! dit-il d’un air plus contrarié que satisfait.
— Tiens ! cela n’a pas l’air de vous réjouir !
— Est-ce pour vous que vous voulez l’acheter ?
— Si c’était pour moi, combien vaudrait-il ?
— Ce que vous auriez envie d’en donner : deux mille francs, quinze cents francs, mille francs.
— Non, ce n’est pas pour moi ; c’est pour le duc d’Orléans. Combien pour le duc d’Orléans ?
— Quatre mille, cinq mille, six mille francs, selon l’endroit de la galerie où il sera placé.
— Ce n’est pas pour lui.
— Pour qui ?
— C’est pour faire un cadeau.
— À qui ?
— Je ne suis pas autorisé à vous le dire ; je suis seulement autorisé à vous offrir six mille francs.
— Mon Marino Faliero n’est pas à vendre.