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AUGUSTA HOLMÈS

de magnifiques portraits de Wagner, d’illustrations de Clairin, d’Henri Regnault, et de mille bibelots et souvenirs artistiques.

Ce que je veux célébrer en Mlle Holmès, c’est l’artiste ; ce que je voudrais vous raconter, ce sont les soirées charmantes passées à l’entendre, soit qu’elle exécute au piano, en des envolées superbes, ses belles symphonies : Pologne, Irlande, Au Pays Bleu, soit qu’elle chante, en s’accompagnant, toute vibrante de lyrisme et de poésie, pour faire vivre ses Sérénades, ses Sept Ivresses, Contes divins, Contes de Fées, et toutes ces œuvres délicieuses que vous connaissez et dont elle est à la fois le poète, le musicien et l’interprète incomparable.

Sa voix ? Un instrument unique par le timbre, l’expression, et dont l’étendue va du contre fa grave au si bémol aigu.

Sa musique ? Un monde.

Ses poèmes ? Des drames.

Son piano ? Tout un orchestre.

Bien qu’aujourd’hui, en tant que pianiste, elle ne prétende plus à la virtuosité pure, son jeu est d’une souplesse, d’une agilité étonnantes en même temps que d’une rare puissance, et elle serait certes en droit de se faire écouter dans une sonate de Beethoven ou une polonaise de Chopin. Mais peu lui importe ! Le piano n’est pour elle qu’un instrument d’accompagnement qu’elle assouplit à toutes ses fantaisies, qu’elle dompte, stimule ou caresse au gré de ses mélodies, selon que la voix chante, grave, sonore, douce, aimante, triste et résignée, ou qu’elle rugit, emportée, terrible et frémissante.

Car tout ce qu’elle crée est vécu et se recommande par une vérité et une variété d’accent qui devaient fatalement l’amener à écrire pour le théâtre.


Parfois, dans ces soirées intimes, les auditeurs, tous excellents musiciens et lecteurs intrépides, se faisaient interprètes.

C’est ainsi que nous avons déchiffré des partitions entières, comme les Argonautes, qui valurent à Mlle Holmès le prix de la Ville de Paris, ou Lutèce, ou Ludus pro Patria, dont le Conservatoire a eu la primeur. Et nous lisions à perte de vue, nous chantions à perte d’haleine, conduits, emportés par l’auteur avec un entrain, une furie qui nous menaient toujours à la victoire. D’autres fois, on exécutait les œuvres de Gluck, de Weber, ou les délicieux poèmes lyriques de Schumann, ou bien on s’occupait d’une œuvre d’actualité, opéra ou opéra-comique, à la veille ou au lendemain de la représentation. Car ne croyez pas que l’auteur de la Montagne Noire se soit vouée au culte exclusif de ses œuvres. Excellente camarade, elle s’incline devant le vrai talent, s’intéresse à toutes les productions intelligentes, toujours sympathique à ceux dont elle sait le cœur sincère et l’âme haute. Je vous étonnerais bien à vous citer, en dehors de Wagner et de Franck, son maître vénéré, toutes les œuvres, toutes les partitions qu’elle sait : à vous dire quel est en littérature, en poésie, dans tous les arts le vaste champ de ses connaissance. D’une intelligence supérieure, elle pourrait, si la crainte de passer pour une pédante ou un bas-bleu ne la retenait, elle pourrait, « tout comme un autre », disserter :

De omni re scibili, et quibusdam aliis.

Mais elle se contente de causer, et on l’écoute pour le charme de son esprit, dans l’oubli de l’heure qui passe.

De toutes nos réunions, celle où pour la première fois Mlle Holmès nous fit lire sa Montagne Noire restera à jamais mémorable.