Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

rinage politique, comme la Sainte-Beaume est un pèlerinage religieux.

Le château d’If était la prison où l’on enfermait autrefois les fils de famille mauvais sujets ; c’était une chose héréditairement convenue : le fils pouvait demander la chambre du père.

Mirabeau y fut envoyé à ce titre.

Il avait un père fou et surtout ridicule ; il l’exaspéra par les déréglements inouïs d’une jeunesse où débordait la sève des passions ; tous ses pas jusqu’alors avaient été marqués par des scandales qui avaient soulevé l’opinion publique. Mirabeau, resté libre, était perdu de réputation. Mirabeau prisonnier fut sauvé par la pitié qui s’attacha à lui.

Puis cette réclusion cruelle était peut-être une des voies dont se servait la Providence pour forcer le jeune homme à étudier sur lui-même la tyrannie dans tous ses détails ; il en résulta que, lorsque la révolution s’approcha, Mirabeau put mettre au service de cette grande catastrophe sociale, ses passions arrêtées dans leur course et ses colères amassées pendant une longue prison.

La société ancienne l’avait condamné à mort : il lui renvoya sa condamnation, et le 21 janvier 1793 l’arrêt fut exécuté.

La chambre qu’habita Mirabeau, la première et souvent la seule qu’on demande à voir, tant le colosse républicain a empli cette vieille forteresse de son nom, est la dernière à droite dans la cour, à l’angle sud-ouest du château ; c’est un cachot qui ne se distingue des autres que parce qu’il est plus sombre peut-être. Une espèce d’alcôve taillée dans le roc indique la place où était son lit ; deux crampons qui soutenaient une planche aujourd’hui absente, la place où il mettait ses livres ; enfin quelques restes de peintures à bandes longitudinales bleues et jaunes, font foi des améliorations que la philanthropie de l’ami des hommes avait permis au prisonnier d’introduire dans sa prison.

Je ne suis pas de l’avis de ceux qui prétendent que Mirabeau captif pressentait son avenir ; il aurait fallu pour cela qu’il devinât la révolution. Est-ce que le matelot, quand le ciel est pur, quand la mer est belle, devine la tempête qui le