Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/185

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sien, l’hiver n’est pas pour lui une saison où il a froid et où il a faim ; c’est, comme pour la noblesse au contraire, une époque de plaisir. Comme les grands seigneurs, il a deux théâtres d’opéra, auxquels il va moyennant cinq sous, et où il entend du Mozart, du Rossini et du Meyerbeer, et de plus que les grands seigneurs, il a son Stentarello qu’il va applaudir pour deux crazi.

Stentarello est à Florence ce que Jocrisse est à Paris, ce que Cassandre est à Rome, ce que Polichinelle est à Naples et ce que Girolamo est à Milan, c’est-à-dire le comique national, éternel et inamovible, qui depuis trois cents ans a le privilège de faire rire les ancêtres, et qui trois cents ans encore, selon toute probabilité, aura l’honneur de faire rire les descendans. Stentarello enfin est de cette illustre famille des queues rouges, qui, à mon grand regret, a disparu en France au milieu de nos commotions politiques et de nos révolutions littéraires. Aussi va-t-on quelquefois en débauche à Stentarello comme on va à Paris aux Funambules.

Ce qui frappe encore à Florence, comme une coutume toute particulière à la ville, c’est l’absence du mari. Ne cherchez pas le mari dans la voiture ou dans la loge de sa femme, c’est inutile, il n’y est pas. Où est-il ? Je n’en sais rien ; dans quelque autre loge ou dans quelque autre voiture. À Florence, le mari possède l’anneau de Gygès, il est invisible. Il y a telle femme de la société que je rencontrais trois fois par jours pendant six mois, et qu’au bout de ce temps je croyais veuve, lorsque par hasard, dans la conversation, j’appris qu’elle avait un mari, que ce mari existait bien réellement et demeurait dans la même maison qu’elle. Alors je cherchai le mari, je le demandai à tout le monde, je m’entêtai à le voir. Peine perdue, il fallut partir de Florence sans avoir eu l’honneur de faire sa connaissance, espérant être plus heureux à un autre voyage.

Il n’en est point ainsi, au reste, pour les jeunes ménages : tout une génération s’avance qui s’écarte, sous ce point de vue, des traditions paternelles, et l’on cite, comme remontant à vingt-cinq ans, le dernier contrat de mariage où fut inscrite par les parens de la mariée cette étrange réserve