Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/195

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surant du regard les événemens et les hommes, et que trouvant les uns gigantesques et les autres petits, il laissa tomber ces paroles dédaigneuses :

— Si je reste, qui ira ? Si je vais, qui restera ?

Une terre labourée par les discordes civiles est prompte à faire germer une pareille semence : sa plante est l’envie et son fruit l’exil.

Accusé de concussion, Dante fut condamné, le 27 janvier 1302, par sentence du comte Gabriel Gubbio, podestat de Florence, à huit mille livres d’amende, à deux ans de proscription, et dans le cas de non paiement de cette amende, à la confiscation et dévastation de ses biens et à un exil éternel.

Dante ne voulut pas reconnaître le crime, en reconnaissant l’arrêt ; il abandonna ses emplois, ses maisons, ses terres, et sortit de Florence, emportant pour toute richesse l’épée avec laquelle il avait combattu à Campoldina, et la plume qui avait déjà écrit les sept premiers chants de l’Enfer. Peut-être est-ce ce moment que choisit le peintre, car on voit derrière l’exilé Florence, et près du poète une représentation des trois parties de sa Divine Comédie.

Alors ses biens furent confisqués et vendus au profit de l’État ; on passa la charrue à la place où avait été sa maison, et l’on y sema du sel ; enfin, condamné à mort par contumace, il fut brûlé en effigie sur la même place où, deux siècles plus tard, Savonarola devait l’être en réalité.

L’amour de la patrie, le courage dans le combat, l’ardeur de la gloire, avaient fait de Dante un brave guerrier ; l’habileté dans l’intrigue, la persévérance dans la politique, avaient fait de Dante un grand homme d’État. Le dédain, le malheur et la vengeance firent de lui un poète sublime. Privé de cette activité mondaine dont il avait besoin, son âme se jeta dans la contemplation des choses divines ; et, tandis que son corps demeurait enchaîné sur la terre, son esprit visitait le triple royaume des morts et peuplait l’enfer de ses haines et le paradis de ses amours. La Divine Comédie est l’œuvre de la vengeance. Dante tailla sa plume avec son épée.

Le premier asile qui s’offrit au fugitif fut le château de ce grand gibelin Cane della Scala. Aussi, dès les premiers