Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/199

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l’Enfer à Vérone, il écrivit le Purgatoire à Gagagnano, et termina son œuvre au château de Tolmino, en Frioul, par le Paradis. De là il vint à Padoue, où il passa quelque temps chez Giotto, son ami, à qui, par reconnaissance, il donna la couronne de Cimabué, enfin, il alla à Ravenne. C’est dans cette ville qu’il publia son poème tout entier. Deux mille copies en furent faites à la plume, et envoyées par toute l’Italie. Chacun leva des yeux étonnés vers ce nouvel astre qui venait de s’allumer au ciel. On douta qu’un homme vivant encore eût pu écrire de telles choses, et plus d’une fois il arriva, lorsque Dante se promenait lent et sévère, dans les rues de Ravenne et de Rimini, avec sa longue robe rouge et sa couronne de laurier sur sa tête, que la mère, saintement effrayée, le montra du doigt à son enfant, en lui disant : « Vois-tu cet homme, il est descendu dans l’enfer !… »

En effet, Dante devait paraître un homme étrange et presque surnaturel. Et pour bien comprendre sous quel jour il devait apparaître à ses contemporains, il faut jeter un moment les yeux sur l’Europe du xiiie siècle, et voir, depuis cent ans, quels événemens s’y accomplissaient. On sentira alors que l’on touche à cette époque où la féodalité, préparée par une guerre de huit siècles, commence le laborieux enfantement de la civilisation. Le monde païen et impérial d’Auguste s’était écroulé avec Charlemagne, en Occident, et avec Alexis Lange, en Orient ; le monde chrétien et féodal de Hugues Capet lui avait succédé de la mer de Bretagne à la mer Noire, et le moyen-âge religieux et politique, déjà personnifié dans Grégoire VII et dans Louis IX, n’attendait plus, pour compléter cette magnifique trinité, que son représentant littéraire.

Il y a de ces momens où des idées vagues cherchent un corps pour se faire homme, et flottent au dessus des sociétés comme un brouillard à la surface de la terre. Tant que le vent le pousse sur le miroir des lacs ou sur le tapis des prairies, ce n’est qu’une vapeur sans forme, sans consistance et sans couleur. Mais s’il rencontre un grand mont, il s’attache à sa cime, la vapeur devient nuée, la nuée orage, et tandis que le front de la montagne ceint son auréole d’é-