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Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/239

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l’architecte de la loge des Lanzi, fut chargé de lui construire un tabernacle digne d’elle.

L’homme était bien choisi comme poète, comme sculpteur et comme chrétien. Aussi tout ce qu’on peut faire avec une cire molle, avec une glaise obéissante, André Orcagna le fit avec du marbre. Il faut véritablement toucher ce chef-d’œuvre pour s’assurer que ce n’est point quelque pâle imitatrice, mais bien un bloc de marbre évidé, fouillé, découpé avec une hardiesse, un caprice, une richesse dont on ne peut se faire une idée sans l’avoir vu. Aussi sort-on de là tellement ébloui, qu’à peine fait-on attention à deux groupes de marbre : l’un de Simon de Fiesole et l’autre de François de San-Gallo. Il y avait eu autrefois de magnifiques fresques, dont deux étaient d’Andrea del Sarto ; mais il serait inutile de les y chercher aujourd’hui. En 1770, elles ont été recouvertes de chaux.

L’extérieur de l’église, si on peut le dire, est tout hérissé de statues. Il y a un saint Eloi d’Antonio di Banco ; un saint Étienne, un saint Mathieu et un saint Jean-Baptiste de Lorenzo Ghiberti ; un saint Luc de Mino da Fiesole ; un autre saint Luc par Jean de Bologne ; un saint Jean évangéliste, par Bacio de Monte Lupo ; enfin un saint Pierre, un saint Marc et surtout un saint Georges de Donatello, à qui il aurait certes pu dire comme au Zuccone : Parle, parle, s’il n’eût été facile de voir, à la mine hautaine de ce vainqueur de dragons, qu’il était trop fier pour obéir à un ordre, cet ordre lui fût-il donné par son créateur.

Si grande que fût l’idée que je m’étais faite d’avance de la place du Palais Vieux, la réalité fut, si je dois l’avouer, encore plus grande qu’elle : en voyant cette masse de pierres si puissamment enracinée au sol, surmontée de sa tour qui menace le ciel comme le bras d’un Titan, la vieille Florence tout entière, avec ses Guelfes, ses Gibelins, sa balie, ses prieurs, sa seigneurie, ses corps de métiers, ses condottieri, son peuple turbulent et son aristocratie hautaine, m’apparut comme si j’allais assister à l’exil de Cosme l’Ancien, ou au supplice de Salviati. En effet, quatre siècles d’histoire et d’art sont là à droite, à gauche, devant, derrière, vous enveloppant de tous côtés, et parlant à la fois avec les pierres, le marbre