Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/262

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chauffèrent à un tel point, que Benvenuto, montrant son poignard à son adversaire : — Baccio, lui dit-il, je te conseille de te pourvoir d’un autre monde, car, aussi vrai qu’il n’y a qu’un Dieu, je compte t’expédier de celui-ci. Alors, répondit Bandinelli, préviens-moi un jour d’avance, pour que je me confesse, afin que je ne meure pas comme un chien, et que, quand je me présenterai à la porte du ciel, on ne me prenne pas pour toi !…

Le grand-duc calma Benvenuto en lui commandant la statue de Persée, et Baccio Bandinelli en lui faisant exécuter son groupe d’Adam et Eve.

Quant au David, il a aussi son histoire, car à Florence, tout ce peuple de statues et de tableaux a sa tradition individuelle ; il dormait depuis cent ans dans un bloc de marbre ébauché, auquel Simon de Fiesole, sculpteur du commencement du XVe siècle, avait voulu donner la forme d’un géant. Mais le statuaire inexpérimenté, ayant mal pris ses mesures, avait repoussé le bloc du piédestal, et le bloc gisait inachevé, lorsque Michel-Ange le vit, se prit de pitié pour ce marbre informe, le redressa, et le prenant corps à corps, s’escrima si bien du ciseau et du maillet, qu’il en tira cette statue de David. Michel-Ange avait alors vingt-neuf ans.

Ce fut pendant que ce grand artiste exécutait cet ouvrage, qu’il reçut la visite du gonfalonier Soderini, le seul gonfalonier perpétuel qu’ait eu la république. Soderini avec sa sottise, que Machiavel, son secrétaire, a rendue proverbiale par un quatrain, ne manqua pas de lui faire critiques sur critiques. Michel-Ange, impatienté, fit semblant de se rendre à l’une d’elles, et prenant, en même temps que son ciseau, une poignée de poussière de marbre, il invita Soderini à s’approcher pour voir si son conseil était bien suivi. Soderini s’approcha, ouvrant ses grands yeux hébétés, et Michel-Ange y fit voler la poignée de poussière de marbre qu’il tenait cachée dans sa main, ce qui pensa l’aveugler.

Vasari et Benvenuto ont eu tort de dire que ce David était un chef-d’œuvre ; ceux qui ont écrit depuis sur Florence ont eu tort de dire que c’était une œuvre au-dessous de la cri-