Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/273

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clarait à la seigneurie que, si elle n’interdisait point la parole au prieur des dominicains, tous les biens des marchands florentins situés sur le territoire pontifical seraient confisqués, et la république mise en interdit et déclarée ennemie spirituelle et temporelle de l’Église. La seigneurie, qui voyait croître la puissance pontificale dans la Romagne, et qui sentait César Borgia aux portes, n’osa point résister, et cette fois intima elle-même à Savonarole l’ordre de suspendre ses prédications. Savonarole ne pouvait résister ; d’ailleurs la résistance eût été une infraction aux lois que lui-même avait consenties : il prit donc congé de son auditoire, dans un prêche qu’il annonça être le dernier. En même temps, on annonça qu’un autre prédicateur très-renommé était arrivé au nom d’Alexandre VI, pour remplacer frère Savonarole, et combattre la parole impie par la parole sainte.

On comprend que le nouveau venu essaya vainement de se faire entendre ; car la retraite de Savonarole, au lieu de calmer la fermentation, l’avait augmentée. On parlait de ses visions divines, de ses prophéties réalisées, on annonça des miracles. Le prieur des Dominicains avait offert, disait-on, de descendre avec le champion de la papauté dans les caveaux de la cathédrale, et de ressusciter un mort. Ces bruits auxquels Savonarole était étranger, répandus par des sectaires trop zélés, revinrent à frère François de Pouille ; c’était le nom du prédicateur venu de Rome. Frère François était d’une trempe pareille à Savonarole, et n’avait contre lui que le désavantage de défendre une mauvaise cause. Au reste, ardent fanatique, prêt à mourir pour cette cause si sa mort pouvait la faire triompher, il répondit à ces bruits vagues par un défi formel : il proposait d’entrer avec le prieur des Dominicains dans un bûcher ardent, et là, disait-il, à la face du peuple, Dieu reconnaîtrait ses élus. — Cette proposition était d’autant plus étrange de sa part qu’il ne croyait pas à un miracle ; mais il espérait par cette offre décider Savonarole à tenter l’épreuve, et en mourant, entraîner du moins avec lui le tentateur qui précipitait tant d’âmes avec la sienne dans la damnation éternelle.

Si exalté que fût Savonarole, il n’espérait point que Dieu fît un miracle en sa faveur. D’ailleurs, n’ayant jamais pro-