Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/36

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inscrite d’une manière ineffaçable : c’est de Toulon que date réellement la carrière militaire de Bonaparte.

Comme curiosités, Toulon n’a que son bagne et son port. Malgré le peu de sympathie qui m’attirait vers le premier de ces établissemens, je ne lui en fis pas moins ma visite le second jour après mon arrivée. Malheureusement, le bagne de Toulon n’avait pour le moment aucune notabilité ; il venait, il y avait deux ou trois mois, d’envoyer ce qu’il possédait de mieux à Brest et à Rochefort.

Les trois premiers objets qui frappent la vue en entrant au bagne sont, d’abord un Cupidon appuyé sur une ancre, puis un crucifix, puis deux pièces de canon chargées à mitraille.

Le premier forçat que nous rencontrâmes vint droit à moi, et m’appela par mon nom en me demandant si je n’achetais pas quelque chose à sa petite boutique. Quelque désir que j’eusse de lui rendre sa politesse, je cherchais vainement à me rappeler la figure de cet homme ; il s’aperçut de mon embarras et se mit à rire.

— Monsieur cherche à me reconnaître ? me dit-il.

— Oui, je l’avoue, mais sans aucun succès.

— J’ai pourtant eu l’honneur de voir Monsieur bien souvent.

La chose devenait de plus en plus flatteuse ; seulement je ne me rappelais pas avoir jamais fréquenté si bonne compagnie ; enfin il prit pitié de mon embarras.

— Je vois bien qu’il faut que je dise à Monsieur où je l’ai vu, car Monsieur ne se le rappellerait pas. J’ai vu Monsieur chez mademoiselle Mars.

— Et que faisiez-vous chez mademoiselle Mars ?

— Je servais, Monsieur, j’étais valet de chambre : c’est moi qui ai volé ses diamans.

— Ah ! ah ! vous êtes Mulon, alors ?

Il me présenta une carte.

— Mulon, artiste forçat, pour vous servir.

— Mais, dites-moi, il me semble que vous êtes à merveille ici.

— Oui, monsieur, grâce à Dieu ! je ne suis pas mal ; il est toujours bon de s’adresser aux personnes comme il faut.