Page:Dumas - Une Année à Florence.djvu/48

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aqueduc, il pouvait conduire jusqu’à ses usines. Cette trouvaille faite, et certain qu’il pouvait mettre ses moulins en mouvement, le frère Jean-Baptiste s’occupa d’acquérir les moulins. Ils appartenaient à une famille de Druses : c’était une tribu qui descendait de ces israélites qui adorèrent le Veau d’Or ; ils avaient conservé l’idolâtrie de leurs pères. Les femmes, aujourd’hui encore, portent pour coiffure la corne d’une vache. Cette corne, qui n’est relevée d’aucun ornement citez les femmes pauvres, est argentée ou dorée chez les femmes riches. La famille druse, qui se composait d’une vingtaine de personnes, ne voulut pas se défaire du terrain légué par ses ancêtres, quoique ce terrain ne rapportât rien ; elle aurait cru faire une impiété. Le frère Jean-Baptiste lui offrit de louer ce terrain qu’elle ne voulait pas vendre. Le chef consentit à cette dernière condition. Le revenu des moulins devait être divisé en tiers : un tiers aux propriétaires, et les deux autres tiers aux bailleurs.

En effet, les bailleurs devaient être deux : l’un apportait son industrie, et celui-là, c’était frère Jean-Baptiste ; mais il fallait qu’un autre apportât l’argent nécessaire aux frais de réparation des moulins et de construction de l’aqueduc. Le frère Jean-Baptiste alla trouver un Turc de ses amis qu’il avait connu dans son premier voyage, et lui demanda neuf mille francs pour mettre à exécution sa laborieuse entreprise. Le Turc le conduisit à son trésor, car les Turcs, qui n’ont ni rentes, ni industrie, ont encore à cette heure, comme dans les Mille et une Nuits, des tonnes d’or et d’argent. Le frère Jean-Baptiste y prit la somme dont il avait besoin, affecta au remboursement de cette somme le tiers de la vente des moulins ; et grâce à cette première mise de fonds faite par un musulman, l’architecte put jeter les fondemens de son hôtellerie chrétienne. D’intérêts, il n’en fut pas question, et cependant il fallait au moins douze ans pour que sa part dans la rente couvrit le bon mahométan de l’avance qu’il venait de faire ; quant au contrat, ce fut chose toute simple, les conditions en furent arrêtées de vive voix, et les deux contractans jurèrent par leur barbe, l’un au nom de Mahomet, l’autre au nom du Christ, de les observer religieusement.

Savez-vous rien de plus simplement grand que ce chrétien