LE GOLFE JUAN.
Nous quittâmes Toulon après un séjour de six semaines. Comme il n’y avait rien à voir de Toulon à Fréjus, si ce n’est le pays que nous pouvions parfaitement voir par les portières, nous prîmes la voiture publique. D’ailleurs, pour un observateur, la voiture publique a un avantage qui balance tous ses désagrémens, c’est que l’on peut y étudier sous un jour assez curieux la classe moyenne des pays que l’on parcourt.
L’intérieur de notre diligence était complété par un jeune homme de vingt ou vingt-deux ans, et par un homme de cinquante à cinquante-cinq.
Le jeune homme avait la figure naïve, les yeux étonnés, les jambes embarrassantes, un chapeau à long poil, un habit bleu barbeau, un pantalon gris sans sous-pieds, des bas noirs, des souliers lacés, et une montre avec des fruits d’Amérique.
L’homme de cinquante-cinq ans avait les cheveux gris et raides, des favoris formant demi-cercle, et se terminant en pointe à la hauteur des narines, des yeux gris clair, un nez en bec de faucon, les dents écartées, et la bouche gourmande ; sa toilette se composait d’un col de chemise qui lui guillotinait les oreilles, d’une cravate rouge, d’une veste grise, d’un pantalon bleu, et de souliers de peau de daim. De temps en temps il sortait la tête par la portière et dialoguait avec le conducteur, qui ne manquait jamais, en lui répondant, de l’appeler capitaine.
Nous n’avions pas encore achevé la première poste, que nous savions déjà que le capitaine portait ce titre parce qu’en 1815 il avait reçu du maréchal Brune l’ordre de charger et de transporter des vivres de Fréjus et d’Antibes à Toulon. Pour cette expédition on lui avait donné une chaloupe et six matelots qui avaient commencé par l’appeler