notre jeune homme, et, profitant du progrès que nous paraissions avoir fait dans sa confiance, nous lui demandâmes où il allait. Il se mit à sourire avec une simplicité qui n’était pas dénuée de charme.
— Ce que je vais vous répondre, nous dit-il, est bien bête. Vous me demandez où je vais, n’est-ce pas ?
— S’il n’y a pas d’indiscrétion, jeune homme, lui dit Jadin en trinquant avec lui.
— Eh bien ! je n’en sais rien, nous répondit-il.
— Comment cela ? dit Jadin. Vous vaguez purement et simplement. Permettez-moi de vous le dire : ceci n’est point une position dans la société.
— Mon Dieu ! reprit le jeune homme en rougissant, si je n’avais pas peur que vous ne me trouvassiez indiscret, je vous raconterais mon histoire.
— Est-elle longue ? demanda Jadin.
— En deux minutes, monsieur, elle sera finie.
— Alors versez-moi encore un verre de ce petit vin ; il n’est pas mauvais ce petit vin, et dites.
En effet, l’histoire était courte, mais n’en était pas moins incroyable.
Notre compagnon de route s’appelait Onésime Chay. Il avait douze cents livres de rente que lui avaient laissées ses parens ; il était cinquième clerc de notaire à Saint Denis, et il était venu à Toulon pour recueillir une petite succession de quinze cents francs qu’une tante lui avait laissée. Le hasard avait fait que nous nous étions trouvés à Toulon en même temps que lui. Dans sa curiosité juvénile, il avait tout fait pour nous voir, Jadin et moi, sans avoir pu y réussir ; enfin, il avait appris que nous parlions par la voiture de Toulon à Fréjus ; et, cédant a cette curiosité, il y avait retenu sa place jusqu’au Luc, comptant repartir du Luc pour Aix et Avignon ; mais au Luc, le charme de notre société l’avait tellement fasciné, qu’il avait poussé jusqu’à Fréjus ; à Fréjus, il nous avait fait demander, comme nous l’avons dit, la permission de dîner au bout de notre table. La façon gracieuse dont nous lui avions accordé cette demande l’avait séduit de plus en plus. Nous entendant parler du golfe Juan, il s’était décidé à le visiter en même temps que