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n’ont pu le décider.

— Tant pis, dit Porthos, il avait de l’esprit. Et Athos ?

— Je ne l’ai pas encore vu, mais j’irai le voir en vous quittant. Savez-vous où je le trouverai, lui ?

— Près de Blois, dans une petite terre qu’il a héritée de je ne sais quel parent.

— Et qu’on appelle ?

— Bragelonne. Comprenez-vous, mon cher, Athos, qui était noble comme l’Empereur et qui hérite d’une terre qui a titre de comté ! que fera-t-il de tous ces comtés-là ? Comté de la Fère, comté de Bragelonne ?

— Avec cela qu’il n’a pas d’enfants, dit d’Artagnan.

— Heu ! fit Porthos, j’ai entendu dire qu’il avait adopté un jeune homme qui lui ressemblait par le visage.

— Athos, notre Athos, qui était vertueux comme Scipion ? l’avez-vous vu ?

— Non.

— Eh bien ! j’irai demain lui porter de vos nouvelles. J’ai peur, entre nous, que son penchant pour le vin ne l’ait fort vieilli et fort dégradé.

— Oui, dit Porthos, c’est vrai ; il buvait beaucoup.

— Puis c’était notre aîné à tous, dit d’Artagnan.

— De quelques années seulement, reprit Porthos ; son air grave le vieillissait beaucoup.

— Oui, c’est vrai. Donc, si nous avons Athos, ce sera tant mieux ; si nous ne l’avons pas, eh bien ! nous nous en passerons. Nous en valons bien douze à nous deux.

— Oui, dit Porthos souriant au souvenir de ses anciens exploits ; mais à nous quatre nous en aurions valu trente-six, d’autant plus que le métier sera dur, à ce que vous dites.

— Dur pour des recrues, oui, mais pour nous, non.

— Sera-ce long ?

— Dame ! cela pourra durer trois ou quatre ans.

— Se battra-t-on beaucoup ?

— Je l’espère.

— Tant mieux, au bout du compte, tant mieux ! s’écria Porthos : vous n’avez point idée, mon cher, combien les os me craquent depuis que je suis ici ! Quelquefois le dimanche, en sortant de la messe, je cours à cheval dans les champs et sur les terres des voisins pour rencontrer quelque bonne querelle, car je sens que j’en ai besoin ; mais rien, mon cher ! Soit qu’on me respecte, soit qu’on me craigne, ce qui est bien plus probable, on me laisse fouler les luzernes avec mes chiens, passer sur le ventre à tout le monde, et je reviens, plus ennuyé, voilà tout. Au moins, dites-moi, se bat-on un peu plus facilement à Paris ?

— Quant à cela, mon cher, c’est charmant ; plus d’édits, plus de gardes du cardinal, plus de Jussac ni d’autres limiers. Mon Dieu, voyez-vous, sous une lanterne, dans une auberge, partout ; êtes-vous Mazarin, êtes-vous frondeur, on dégaîne et tout est dit. M. de Guise a tué M. de Coligny en pleine place Royale, et il n’en a rien été.

— Ah ! voilà qui va bien, alors, dit Porthos.

— Et puis, avant peu, continua d’Artagnan, nous aurons des batailles rangées, du canon, des incendies ; ce sera très varié.

— Alors, je me décide.

— J’ai donc votre parole ?

— Oui, c’est dit. Je frapperai d’estoc et de taille pour Mazarin. Mais…

— Mais ?

— Mais, il me fait baron ?

— Eh pardieu ! dit d’Artagnan, c’est arrêté d’avance ; je vous l’ai dit et je vous le répète, je réponds de votre baronnie.

Sur cette promesse, Porthos, qui n’avait jamais douté de la parole de son ami, reprit avec lui le chemin du château.


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