Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/104

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rancune ?

— Vous vous trompez, Porthos, dit d’Artagnan à son tour : c’est moi qui n’en ai point.

Porthos ne comprit pas très bien ; mais, on se le rappelle, la compréhension n’était pas son fort.

— Vous dites donc, continua-t-il, que c’est le comte de Rochefort qui a parlé de moi au cardinal ?

— Oui, et puis la reine.

— Comment, la reine ?

— Pour nous inspirer confiance, elle lui a même remis le fameux diamant, vous savez, que j’avais vendu à M. des Essarts, et qui, je ne sais comment, est rentré en sa possession.

— Mais il me semble, dit Porthos avec son gros bon sens, qu’elle eût mieux fait de le remettre à vous.

— C’est aussi mon avis, dit d’Artagnan ; mais que voulez-vous ? les rois et les reines ont quelquefois des caprices. Au bout du compte, comme ce sont eux qui tiennent les richesses et les honneurs, qui distribuent l’argent et les titres, on leur est dévoué.

— Oui, on leur est dévoué, dit Porthos. Alors vous êtes donc dévoué, dans ce moment-ci ?…

— Au roi, à la reine et au cardinal, et j’ai de plus répondu de votre dévoûment.

— Et vous dites que vous avez fait certaines conditions pour moi ?

— Magnifiques, mon cher, magnifiques ! D’abord vous avez de l’argent, n’est-ce pas ? Quarante mille livres de rentes, vous me l’avez dit.

Porthos entra en défiance.

— Eh ! mon ami, lui dit-il, on n’a jamais trop d’argent. Mme  du Vallon a laissé une succession embrouillée ; je ne suis pas grand clerc, moi, en sorte que je vis un peu au jour le jour.

— Il a peur que je ne sois venu pour lui emprunter de l’argent, pensa d’Artagnan.

— Ah ! mon ami, dit-il tout haut, tant mieux si vous êtes gêné !

— Comment, tant mieux ? dit Porthos.

— Oui, car Son Éminence donnera tout ce que l’on voudra, terres, argent et titres.

— Ah ! ah ! ah ! fit Porthos écarquillant les yeux à ce dernier mot.

— Sous l’autre cardinal, continua d’Artagnan, nous n’avons pas su profiter de la fortune ; c’était le cas, pourtant ; je ne dis pas cela pour vous qui aviez vos quarante mille livres de rentes en vue, et qui me paraissez l’homme le plus heureux de la terre.

Porthos soupira.

— Toutefois, continua d’Artagnan, malgré vos quarante mille livres de rente et peut-être même à cause de vos quarante mille livres de rente, il me semble qu’une petite couronne ferait bien sur votre carrosse. Eh ! eh !

— Mais oui, dit Porthos.

— Eh bien ! mon cher, gagnez-la ; elle est au bout de votre épée. Nous ne nous nuirons pas. Votre but à vous, c’est un titre ; mon but, à moi, c’est de l’argent. Que j’en gagne assez pour faire reconstruire Artagnan, que mes ancêtres, appauvris par les croisades, ont laissé tomber en ruine depuis ce temps, et pour acheter une trentaine d’arpents de terre autour, c’est tout ce qu’il faut ; je m’y retire et j’y meurs tranquille.

— Et moi, dit Porthos, je veux être baron.

— Vous le serez.

— Et n’avez-vous donc point pensé aussi à nos autres amis ? demanda Porthos.

— Si fait, j’ai vu Aramis.

— Et que désire-t-il, lui ? d’être évêque ?

— Aramis, dit d’Artagnan, qui ne voulait pas désenchanter Porthos ; Aramis, imaginez-vous, mon cher, qu’il est devenu moine et jésuite, qu’il vit comme un ours ; il renonce à tout, et ne pense qu’à son salut. Mes offres