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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/108

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— Porthos, dit d’Artagnan, qui vous accompagnera donc dans vos campagnes ?

— Mais, répondit naturellement Porthos, Mouston, ce me semble.

Ce fut un coup pour d’Artagnan ; il vit déjà se changer en grimaces de douleur le bienveillant sourire de l’intendant.

— Cependant, répliqua d’Artagnan, Mouston n’est plus de la première jeunesse, mon cher ; de plus, il est devenu très gros, et peut-être a-t-il perdu l’habitude du service actif.

— Je le sais, dit Porthos. Mais je me suis accoutumé à lui ; et d’ailleurs, il ne voudrait pas me quitter, il m’aime trop.

— Ô aveugle amour-propre ! pensa d’Artagnan.

— D’ailleurs vous-même, demanda Porthos, n’avez-vous pas toujours à votre service votre même laquais, ce bon, ce brave, cet intelligent… comment l’appeliez-vous donc ?

— Planchet. Oui, je l’ai retrouvé, mais il n’est plus laquais.

— Qu’est-il donc ?

— Eh bien ! avec ses 1,600 livres, vous savez, les 1,600 livres qu’il a gagnées au siége de La Rochelle en portant la lettre à lord de Winter, il a ouvert une petite boutique rue des Lombards, et il est confiseur.

— Ah ! il est confiseur rue des Lombards ! Mais comment vous suit-il ?

— Il a fait quelques escapades, dit d’Artagnan, et il craint d’être inquiété.

Et le mousquetaire raconta à son ami comment il avait retrouvé Planchet.

— Eh bien ! dit alors Porthos, si on vous eût dit, mon cher, qu’un jour Planchet ferait sauver Rochefort, et que vous le cacheriez pour cela ?

— Je ne l’aurais pas cru. Mais, que voulez-vous ! les évènements changent les hommes.

— Rien de plus vrai, dit Porthos ; mais ce qui ne change pas, ou ce qui change pour se bonifier, c’est le vin. Goûtez de celui-ci ; c’est d’un crû d’Espagne qu’estimait fort notre ami Athos : c’est du Xérès.

À ce moment, l’intendant vint consulter son maître sur le menu du lendemain et aussi sur la partie de chasse projetée.

— Dis-moi, Mouston, dit Porthos, mes armes sont-elles en bon état ?

D’Artagnan commença à battre la mesure sur la table pour cacher son embarras.

— Vos armes, monseigneur, demanda Mouston ; quelles armes ?

— Eh ! pardieu, mes harnais.

— Quels harnais ?

— Mes harnais de guerre.

— Mais oui, Monseigneur. Je le crois, du moins.

— Tu t’en assureras demain, et tu les feras fourbir si elles en ont besoin. Quel est mon meilleur cheval de course ?

— Vulcain.

— Et de fatigue ?

— Bayard.

— Quel cheval aimes-tu, toi ?

— J’aime Rustaud, monseigneur ; c’est une bonne bête, avec laquelle je m’entends à merveille.

— C’est vigoureux, n’est-ce pas ?

— Normand, croisé Mecklembourg, ça irait jour et nuit.

— Voilà notre affaire. Tu feras restaurer les trois bêtes, tu fourbiras ou tu feras fourbir mes armes ; plus, des pistolets pour toi et un couteau de chasse.

— Nous voyagerons donc, monseigneur ? dit Mousqueton déjà inquiet.

D’Artagnan, qui n’avait jusque-là fait que des accords vagues, battit une marche.

— Mieux que cela, Mouston, répondit Porthos.

— Nous faisons une expédition, Monsieur ? dit l’intendant, dont les roses commençaient à se changer en lys.

— Nous rentrons au service, Mouston, répondit Porthos en essayant toujours de faire reprendre à sa moustache ce pli martial qu’elle avait perdu.