Aller au contenu

Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/129

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

si par la cause du roi, vous entendez celle de M. de Mazarin, nous cessons de nous comprendre.

— Je ne dis pas précisément, répondit le Gascon embarrassé.

— Voyons, d’Artagnan, dit Athos, ne jouons pas au fin. Votre hésitation, vos détours me disent de quelle part vous venez. Cette cause, en effet, on n’ose l’avouer hautement, et lorsqu’on recrute pour elle, c’est l’oreille basse et la voix embarrassée.

— Ah ! mon cher Athos ! dit d’Artagnan.

— Eh ! vous savez bien, reprit Athos, que je ne parle pas pour vous, qui êtes la perle des gens braves et hardis ; je vous parle de cet Italien mesquin et intrigant, de ce cuistre qui essaie de mettre sur sa tête une couronne qu’il a volée sous un oreiller ; de ce faquin qui appelle son parti le parti du roi, et qui s’avise de faire mettre des princes du sang en prison, n’osant pas les tuer, comme faisait notre cardinal à nous, le grand cardinal ; un fesse-mathieu qui pèse ses écus d’or et garde les rognés, de peur, quoiqu’il triche, de les perdre à son jeu du lendemain ; un drôle enfin qui maltraite la reine, à ce qu’on assure… au reste, tant pis pour elle ! et qui va d’ici à trois mois nous faire une guerre civile pour garder ses pensions. C’est là le maître que vous me proposez, d’Artagnan ? Grand merci !

— Vous êtes plus vif qu’autrefois, Dieu me pardonne ! dit d’Artagnan, et les années ont échauffé votre sang, au lieu de le refroidir. Qui vous dit donc que ce soit là mon maître et que je veuille vous l’imposer ?

« Diable ! s’était dit le Gascon, ne livrons pas nos secrets à un homme si mal disposé. »

— Mais alors, cher ami, reprit Athos, qu’est-ce donc que ces propositions ?

— Eh mon Dieu ! rien de plus simple : vous vivez dans vos terres, vous, et il paraît que vous êtes heureux dans votre médiocrité dorée. Porthos a cinquante ou soixante mille livres de revenu peut-être ; Aramis a toujours quinze duchesses qui se disputent le prélat, comme elles se disputaient le mousquetaire ; c’est encore un enfant gâté du sort ; mais moi, que fais-je en ce monde ? je porte ma cuirasse et mon buffle depuis vingt ans, cramponné à ce grade insuffisant, sans avancer, sans reculer, sans vivre. Je suis mort en un mot ! Eh bien ! lorsqu’il s’agit pour moi de ressusciter un peu, vous venez tous me dire : C’est un faquin ! c’est un drôle ! un cuistre ! un mauvais maître ! Eh ! parbleu ! je suis de votre avis, moi, mais trouvez-m’en un meilleur, ou faites-moi des rentes.

Athos réfléchit trois secondes, et pendant ces trois secondes, il comprit la ruse de d’Artagnan, qui pour s’être trop avancé tout d’abord, rompait maintenant afin de cacher son jeu. Il vit clairement que les propositions qu’on venait de lui faire étaient réelles, et se fussent déclarées dans tout leur développement pour peu qu’il eût prêté l’oreille.

— Bon ! se dit-il, d’Artagnan est à Mazarin.

De ce moment il s’observa avec une extrême prudence.

De son côté d’Artagnan joua plus serré que jamais.

— Mais, enfin, vous avez une idée ? continua Athos.

— Assurément. Je voulais prendre conseil de vous tous et aviser au moyen de faire quelque chose, car les uns sans les autres nous serons toujours incomplets.

— C’est vrai. Vous me parliez de Porthos ; l’avez-vous donc décidé à chercher fortune ? Mais cette fortune, il l’a.

— Sans doute, il l’a ; mais l’homme est ainsi fait, il désire toujours quelque chose.

— Et que désire Porthos ?

— D’être baron.

— Ah ! c’est vrai, j’oubliais,