Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Quand La Ramée eut bien ri et qu’il se fut essuyé les yeux, il crut qu’il était temps enfin de parler et d’excuser l’inconvenance de sa gaîté.

— Se sauver, Monseigneur ? dit-il, se sauver ? Mais Votre Éminence ne sait donc pas où est M. de Beaufort ?

— Si fait, monsieur, je sais qu’il est au donjon de Vincennes.

— Oui, monseigneur, dans une chambre dont les murs ont sept pieds d’épaisseur, avec des fenêtres à grillages croisés dont chaque barre est grosse comme le bras.

— Monsieur, dit Mazarin, avec de la patience on perce tous les murs, et avec un ressort de montre on scie un barreau.

— Mais monseigneur ignore donc qu’il a près de lui huit gardes, quatre dans son antichambre et quatre dans sa chambre, et que ces gardes ne le quittent jamais ?

— Mais il sort de sa chambre, il joue au mail, il joue à la paume.

— Monseigneur, ce sont les amusements permis aux prisonniers. Cependant si Son Éminence veut, on les lui retranchera.

— Non pas, non pas, dit le Mazarin, qui craignait, en lui retranchant ces plaisirs, que si son prisonnier sortait jamais de Vincennes, il n’en sortît encore plus exaspéré contre lui. Seulement je demande avec qui il joue.

— Monseigneur, il joue avec l’officier de garde, ou bien avec moi, ou bien avec les autres prisonniers.

— Mais n’approche-t-il point des murailles en jouant ?

— Monseigneur, Votre Éminence ne connaît-elle point les murailles ? Les murailles ont soixante pieds de hauteur, et je doute que M. de Beaufort soit encore assez las de la vie pour risquer de se rompre le cou en sautant du haut en bas.

— Hum ! fit le cardinal, qui commençait à se rassurer. Vous dites donc, mon cher monsieur la Ramée…

— Qu’à moins que M. de Beaufort ne trouve moyen de se changer en petit oiseau, je réponds de lui.

— Prenez garde ! vous vous avancez fort, reprit Mazarin. M. de Beaufort a dit aux gardes qui le conduisaient à Vincennes qu’il avait souvent pensé au cas où il serait emprisonné, et que, dans ce cas, il avait trouvé quarante manières de s’évader de prison.

— Monseigneur, si parmi ces quarante manières il y en avait eu une bonne, répondit la Ramée, il serait dehors depuis longtemps.

— Allons, allons, pas si bête que je croyais, murmura Mazarin.

— D’ailleurs, monseigneur oublie que M. de Chavigny est gouverneur de Vincennes, continua la Ramée, et M. de Chavigny n’est pas des amis de M. de Beaufort.

— Oui, mais M. de Chavigny s’absente.

— Quand il s’absente je suis là.

— Mais quand vous vous absentez vous-même ?

— Oh ! quand je m’absente moi-même, j’ai en mon lieu et place un gaillard qui aspire à devenir exempt de Sa Majesté, et qui, je vous en réponds, fait bonne garde. Depuis trois semaines que je l’ai pris à mon service, je n’ai qu’un reproche à lui faire, c’est d’être trop dur au prisonnier.

— Et quel est ce cerbère ? demanda le cardinal.

— Un certain M. Grimaud, monseigneur.

— Et que faisait-il avant d’être près de vous à Vincennes ?

— Mais il était en province, à ce que m’a dit celui qui me l’a recommandé ; il s’y est fait je ne sais quelle méchante affaire, à cause de sa mauvaise tête, et je crois qu’il ne serait pas fâché de trouver l’impunité sous l’uniforme du roi.

— Et qui vous a recommandé cet homme ?

— L’intendant de M. le duc de Grammont.

— Alors, on peut s’y fier, à votre avis ?

— Comme à moi-même, monseigneur.

— Ce n’est pas un bavard ?

— Jésus-Dieu ! monseigneur, j’ai cru longtemps qu’il était muet, il ne parle et ne répond que par signes ; il paraît que c’est son ancien maître qui l’a dressé à cela.

— Eh bien ! dites-lui, mon cher monsieur