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L’intelligent animal fut criblé d’applaudissements.

Le spectacle était divisé en trois parties ; la première achevée, on passa à la seconde.

Il s’agissait d’abord de dire l’heure qu’il était. M. de Chavigny montra sa montre à Pistache. Il était six heures et demie. Pistache leva et baissa la patte six fois et à la septième resta la patte en l’air. Il était impossible d’être plus clair, un cadran solaire n’aurait pas mieux répondu : comme chacun sait, le cadran solaire a le désavantage de ne dire l’heure que tant que le soleil luit.

Ensuite, il s’agissait de reconnaître devant toute la société quel était le meilleur geôlier de toutes les prisons de France. Le chien fit trois fois le tour du cercle et alla se coucher de la façon la plus respectueuse du monde aux pieds de M. de Chavigny.

M. de Chavigny fit semblant de trouver la plaisanterie charmante et rit du bout des dents. Quand il eut fini de rire, il se mordit les lèvres et commença de froncer le sourcil.

Enfin M. de Beaufort posa à Pistache cette question si difficile à résoudre, à savoir quel était le plus grand voleur du monde connu. Pistache, cette fois, fit le tour de la chambre, mais ne s’arrêta à personne, et, s’en allant à la porte, il se mit à gratter et à se plaindre.

— Voyez, messieurs, dit le prince, cet intéressant animal ne trouvant pas ici ce que je lui demande, va chercher dehors. Mais, soyez tranquilles, vous ne serez pas privés de sa réponse pour cela. — Pistache, mon ami, continua le duc, venez ici… Le chien lui obéit… Le plus grand voleur du monde connu, reprit le prince, est-ce monsieur le secrétaire du roi Lecamus, qui est venu à Paris avec vingt livres et qui possède maintenant six millions ?

Le chien secoua la tête en signe de négation.

— Est-ce, continua le prince, M. le surintendant d’Émery, qui a donné à M. Thoré, son fils, en le mariant, 300, 000 livres de rente et un hôtel près duquel les Tuileries sont une masure, et le Louvre une bicoque ?

Le chien secoua la tête en signe de négation.

— Ce n’est pas encore lui, reprit le prince. Voyons, cherchons bien : serait-ce, par hasard, l’illustrissimo Facchino Mazarini di Piscina, hein ?

Le chien fit désespérément signe que oui en se levant et en baissant la tête huit ou dix fois de suite.

— Messieurs, vous le voyez, dit M. de Beaufort aux assistants qui, cette fois, n’osèrent pas même rire du bout des dents, l’illustrissimo Facchino Mazarini di Piscina est le plus grand voleur du monde connu, c’est Pistache qui le dit, du moins.

Passons à un autre exercice.

— Messieurs, continua le duc de Beaufort, profitant d’un grand silence qui se faisait pour produire le programme de la troisième partie de la soirée, vous vous rappelez tous que M. le duc de Guise avait appris à tous les chiens de Paris à sauter pour Mlle  de Pons, qu’il avait proclamée la belle des belles ; eh bien, messieurs, ce n’était rien, car ces animaux obéissaient machinalement, ne sachant point faire de dissidence (M. de Beaufort voulait dire différence), entre ceux pour lesquels ils devaient sauter et ceux pour lesquels ils ne le devaient pas. Pistache