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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/168

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les aiguillettes étaient d’argent bruni, son manteau n’avait aucune broderie d’or, et une simple plume violette enveloppait son feutre noir. Il avait aux pieds des bottes de cuir noir, et à son ceinturon verni pendait cette épée à la poignée magnifique que Porthos avait si souvent admirée rue Férou, mais qu’Athos n’avait jamais voulu lui prêter. De splendides dentelles formaient le col rabattu de sa chemise ; des dentelles retombaient aussi sur les revers de ses bottes.

Il y avait dans toute la personne de celui qu’on venait d’annoncer ainsi sous un nom complètement inconnu à Mme de Chevreuse un tel air de gentilhomme de haut lieu, qu’elle se souleva à demi, et lui fit gracieusement signe de prendre un siége auprès d’elle.

Athos salua et obéit. Le laquais allait se retirer lorsque Athos fit un signe qui le retint.

— Madame, dit-il à la duchesse, j’ai eu cette audace de me présenter à votre hôtel sans être connu de vous ; elle m’a réussi, puisque vous avez daigné me recevoir. J’ai maintenant celle de vous demander une demi-heure d’entretien.

— Je vous l’accorde, monsieur, répondit Mme de Chevreuse avec son plus gracieux sourire.

— Mais ce n’est pas tout, madame. Oh ! je suis un grand ambitieux, je le sais ! l’entretien que je vous demande est un entretien de tête à tête, et dans lequel j’aurais un bien vif désir de ne pas être interrompu.

— Je n’y suis pour personne, dit la duchesse de Chevreuse au laquais. Allez.

Le laquais sortit.

Il se fit un instant de silence, pendant lequel ces deux personnages qui se reconnaissaient si bien à la première vue pour être de haute race, s’examinèrent sans aucun embarras de part ni d’autre.

La duchesse de Chevreuse rompit la première le silence.

— Eh bien ! monsieur, dit-elle en souriant, ne voyez-vous pas que j’attends avec impatience ?

— Et moi, Madame, répondit Athos, je regarde avec admiration.

— Monsieur, dit Mme de Chevreuse, il faut m’excuser, car j’ai hâte de savoir à qui je parle. Vous êtes homme de cour, c’est incontestable, et cependant je ne vous ai jamais vu à la cour. Sortez-vous de la Bastille, par hasard ?

— Non, madame, répondit en souriant Athos, mais peut-être suis-je sur le chemin qui y mène.

— Ah ! en ce cas, dites-moi vite qui vous êtes et allez-vous-en, répondit la duchesse de ce ton enjoué qui avait un si grand charme chez elle ; car je suis déjà bien assez compromise comme cela, sans me compromettre encore davantage.

— Qui je suis, madame ? On vous a dit mon nom, le comte de La Fère. Ce nom, vous ne l’avez jamais su. Autrefois j’en portais un autre que vous avez su peut-être, mais que vous avez certainement oublié.

— Dites toujours, monsieur.

— Autrefois, reprit le comte de La Fère, je m’appelais Athos.

Mme de Chevreuse ouvrit de grands yeux étonnés. Il était évident, comme le lui avait dit le comte, que ce nom n’était pas tout à fait effacé de sa mémoire, quoiqu’il y fût fort confondu parmi d’anciens souvenirs.

— Athos ? dit-elle ; attendez donc.

Et elle posa ses deux mains sur son front comme pour forcer les mille idées fugitives qu’il contenait à se fixer un instant pour lui laisser voir clair dans leur troupe brillante et diaprée.

— Voulez-vous que je vous aide, madame ? dit en souriant Athos.

— Mais