Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/169

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oui, dit la duchesse déjà fatiguée de chercher ; vous me ferez plaisir.

— Cet Athos était lié avec trois jeunes mousquetaires qui se nommaient d’Artagnan, Porthos, et…

Athos s’arrêta.

— Et Aramis, dit vivement la duchesse.

— Et Aramis, c’est cela, reprit Athos ; vous n’avez donc pas tout à fait oublié ce nom ?

— Non, dit-elle, non ; pauvre Aramis ! c’était un charmant gentilhomme, élégant, discret et faisant de jolis vers ; je crois qu’il a mal tourné, dit-elle.

— Au plus mal ; il s’est fait abbé.

— Ah ! quel malheur ! dit Mme  de Chevreuse, jouant négligemment avec son éventail. En vérité, Monsieur, je vous remercie.

— De quoi, Madame ?

— De m’avoir rappelé ce souvenir, qui est un des souvenirs agréables de ma jeunesse.

— Me permettez-vous alors, dit Athos, de vous en rappeler un second ?

— Qui se rattache à celui-là ?

— Oui et non.

— Ma foi, dit Mme  de Chevreuse, dites toujours. D’un homme comme vous je risque tout.

Athos salua.

— Aramis, continua-t-il, était lié avec une jeune lingère de Tours.

— Une jeune lingère de Tours ? dit Mme  de Chevreuse.

— Oui, une cousine à lui, qu’on appelait Marie Michon.

— Ah ! je la connais, s’écria Mme  de Chevreuse : c’est celle à laquelle il écrivait, du siége de la Rochelle, pour la prévenir d’un complot qui se tramait contre ce pauvre Buckingham.

— Justement, dit Athos ; voulez-vous bien me permettre de vous parler d’elle ?

Mme  de Chevreuse regarda Athos.

— Oui, dit-elle, pourvu que vous n’en disiez pas trop de mal.

— Je serais un ingrat, dit Athos, et je regarde l’ingratitude, non pas comme un défaut ou un crime, mais comme un vice, ce qui est bien pis.

— Vous, ingrat envers Marie Michon, monsieur ? dit Mme  de Chevreuse, essayant de lire dans les yeux d’Athos. Mais comment cela pourrait-il être ? Vous ne l’avez jamais connue personnellement.

— Eh ! Madame, qui sait ! reprit Athos. Il y a un proverbe populaire qui dit qu’il n’y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas, et les proverbes populaires sont quelquefois d’une justesse incroyable.

— Oh ! continuez, Monsieur, continuez, dit vivement Mme  de Chevreuse, car vous ne pouvez vous faire idée combien cette conversation m’amuse.

— Vous m’encouragez, dit Athos, je vais donc poursuivre. Cette cousine d’Aramis, cette Marie Michon, cette jeune lingère enfin, malgré sa condition vulgaire, avait les plus hautes connaissances ; elle appelait les plus grandes dames de la cour ses amies, et la reine, toute fière qu’elle est en sa double qualité d’Autrichienne et d’Espagnole, l’appelait sa sœur.

— Hélas ! dit Mme  de Chevreuse avec un léger soupir et un petit mouvement de sourcils qui n’appartenait qu’à elle, les choses sont bien changées depuis ce temps-là !

— Et la reine avait raison, continua Athos, car elle lui était fort dévouée ; dévouée au point de lui servir d’intermédiaire avec son frère, le roi d’Espagne.

— Ce qui, reprit la duchesse, lui est imputé aujourd’hui à grand crime.

— Si bien, continua Athos, que le cardinal, le vrai cardinal, l’autre, résolut un beau matin de faire arrêter la pauvre Marie Michon et de la faire conduire au château de Loches. Heureusement la chose ne put se faire si secrètement que ce projet ne transpirât ; le cas était prévu : si Marie Michon était menacée de quelque danger, la reine devait lui faire parvenir un livre d’heures relié en ve-