Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/207

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l’un était si frais qu’il semblait sortir d’une boîte, et l’autre si poudreux qu’on eût dit qu’il quittait un champ de bataille. Mousqueton attirait aussi les regards des badauds, et comme le roman de Don Quichotte était alors dans toute sa vogue, quelques-uns disaient que c’était Sancho qui, après avoir perdu un maître, en avait trouvé deux.

En arrivant à l’antichambre, d’Artagnan se trouva en pays de connaissance. C’étaient des mousquetaires de sa compagnie qui justement étaient de garde. Il fit appeler l’huissier et montra la lettre du cardinal qui lui enjoignait de revenir sans perdre une seconde. L’huissier s’inclina et entra chez Son Éminence.

D’Artagnan se tourna vers Porthos, et crut remarquer qu’il était agité d’un léger tremblement. Il sourit, et s’approchant de son oreille, il lui dit :

— Bon courage, mon brave ami ! ne soyez pas intimidé ; croyez-moi l’œil de l’aigle est fermé, et nous n’avons plus affaire qu’au simple vautour. Tenez-vous raide comme au jour du bastion Saint-Gervais et ne saluez pas trop bas cet Italien, cela lui donnerait une pauvre idée de vous.

— Bien, bien, répondit Porthos.

L’huissier reparut.

— Entrez, Messieurs, dit-il, Son Éminence vous attend.

En effet Mazarin était assis dans son cabinet, travaillant à raturer le plus de noms possible sur une liste de pensions et de bénéfices. Il vit du coin de l’œil entrer d’Artagnan et Porthos, et quoique son regard eût pétillé de joie à l’annonce de l’huissier, il ne parut pas s’émouvoir.

— Ah ! c’est vous, monsieur le lieutenant ? dit-il, vous avez fait diligence ; c’est bien : soyez le bienvenu.

— Merci, monseigneur. Me voilà aux ordres de Votre Éminence, ainsi que M. du Vallon, celui de mes anciens amis qui déguisait sa noblesse sous le nom de Porthos.

Porthos salua le cardinal.

— Un cavalier magnifique, dit Mazarin.

Porthos tourna la tête à droite et à gauche, et fit des mouvements d’épaules pleins de dignité.

— La meilleure épée du royaume, monseigneur, dit d’Artagnan, et bien des gens le savent qui ne le disent pas et qui ne peuvent pas le dire.

Porthos salua d’Artagnan.

Mazarin aimait presque autant les beaux soldats que Frédéric de Prusse les aima plus tard. Il se mit à admirer les mains nerveuses, les vastes épaules et l’œil fixe de Porthos. Il lui sembla qu’il avait devant lui le salut de son ministère et du royaume, taillé en chair et en os. Cela lui rappela que l’ancienne association des mousquetaires était formée de quatre personnes.

— Et vos deux autres amis ? demanda Mazarin.

Porthos ouvrait la bouche, croyant que c’était l’occasion de placer un mot à son tour. D’Artagnan lui fit un signe du coin de l’œil.

— Nos autres amis sont empêchés en ce moment ; ils nous rejoindront plus tard.

Mazarin toussa légèrement.

— Et monsieur, plus libre qu’eux, reprendra volontiers du service ? demanda Mazarin.

— Oui, monseigneur, et cela par pur dévouement, car M. de Bracieux