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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/225

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CHAPITRE XXIX.

LE BONHOMME BROUSSEL.


lettrine Mais malheureusement pour le cardinal Mazarin, qui était en ce moment-là en veine de guignon, le bonhomme Broussel n’était pas écrasé.

En effet, il traversait tranquillement la rue Saint-Honoré quand le cheval emporté de d’Artagnan l’atteignit à l’épaule et le renversa dans la boue. Comme nous l’avons dit, d’Artagnan n’avait pas fait attention à un si petit évènement. D’ailleurs d’Artagnan partageait la profonde et dédaigneuse indifférence que la noblesse, et surtout la noblesse militaire, professait à cette époque pour la bourgeoisie. Il était donc resté insensible au malheur arrivé au petit homme noir, bien qu’il fût cause de ce malheur, et avant même que le pauvre Broussel eût eu le temps de jeter un cri, toute la tempête de ces coureurs armés était passée. Alors seulement le blessé put être entendu et relevé.

On accourut, on vit cet homme gémissant, on lui demanda son nom, son adresse, son titre, et aussitôt qu’il eut dit qu’il se nommait Broussel, qu’il était conseiller au parlement et qu’il demeurait rue Saint-Landry, un cri s’éleva dans cette foule, cri terrible et menaçant, et qui fit autant de peur au blessé que l’ouragan qui venait de lui passer sur le corps.

— Broussel ! s’écriait-on, Broussel, notre père ! celui qui défend nos droits contre le Mazarin ! Broussel, l’ami du peuple, tué, foulé aux pieds par ces scélérats de cardinalistes ! Au secours ! aux armes ! à mort !

En un moment la foule devint immense ; on arrêta un carrosse pour y mettre le petit conseiller ; mais un homme du peuple ayant fait observer que, dans l’état où était le blessé, le mouvement de la voiture pouvait empirer son mal, des fanatiques proposèrent de le porter à bras, proposition qui fut accueillie avec