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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/259

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— Venez, comte, dit Raoul, qui semblait instinctivement ne pouvoir supporter la présence de l’augustin ; venez, je me sens mal ici.

— Merci, encore une fois, mes beaux jeunes seigneurs, dit le blessé, et ne m’oubliez pas dans vos prières.

— Soyez tranquille, dit de Guiche en piquant pour rejoindre Bragelonne, qui était déjà de vingt pas en avant.

En ce moment le brancard porté par les deux laquais entrait dans la maison. L’hôte et sa femme, qui était accourue, se tenaient debout sur les marches de l’escalier. Le malheureux blessé paraissait souffrir des douleurs atroces, et cependant il n’était préoccupé que de savoir si le moine le suivait… À la vue de cet homme pâle et ensanglanté, la femme saisit fortement le bras de son mari.

— Eh bien ! qu’y a-t-il ? demanda celui-ci. Est-ce que par hasard tu te trouverais mal ?

— Non, mais regarde, dit l’hôtesse en montrant à son mari le blessé.

— Dame ! répondit celui-ci, il me paraît bien malade.

— Ce n’est pas cela que je veux dire, continua la femme toute tremblante ; je te demande si tu le reconnais ?

— Cet homme ? attends donc…

— Ah ! je vois que tu le reconnais, dit la femme, car tu pâlis à ton tour.

— En vérité ! s’écria l’hôte. Malheur à notre maison ! c’est l’ancien bourreau de Béthune.

— L’ancien bourreau de Béthune ! murmura le jeune moine en faisant un mouvement d’arrêt et en laissant voir sur son visage le sentiment de répugnance que lui inspirait son pénitent.

M. d’Arminges, qui se tenait à la porte, s’aperçut de son hésitation.

— Sire moine, dit-il, pour être ou pour avoir été bourreau, ce malheureux n’en est pas moins un homme. Rendez-lui donc le dernier service qu’il réclame de vous, et votre œuvre n’en sera que plus méritoire.

Le moine ne répondit rien, mais il continua silencieusement son chemin vers la chambre basse où les deux valets avaient déjà déposé le mourant sur un lit. En voyant l’homme de Dieu s’approcher du chevet du blessé, les deux laquais sortirent en fermant la porte sur le moine et sur le moribond. D’Arminges et Olivain les attendaient ; ils remontèrent à cheval, et tous quatre partirent au trot, suivant le chemin à l’extrémité duquel avaient déjà disparu Raoul et son compagnon.

Au moment où le gouverneur et son escorte disparaissaient à leur tour, un nouveau voyageur s’arrêtait devant le seuil de l’auberge.

— Que désire monsieur ? dit l’hôte encore pâle et tremblant de la découverte qu’il venait de faire.

Le voyageur fit le signe d’un homme qui boit, et, mettant pied à terre, montra son cheval et fit le signe d’un homme qui frotte.

— Ah ! diable ! se dit l’autre, il paraît que celui-ci est muet. Et où voulez-vous boire ? demanda-t-il.

— Ici, dit le voyageur en montrant une table.

— Je me trompais, dit l’hôte, il n’est pas tout à fait muet.

Et il s’inclina, alla chercher une bouteille de vin et des biscuits, qu’il posa devant son taciturne convive.

— Monsieur ne désire pas autre chose ? demanda-t-il.

— Si fait, dit le voyageur.

— Que désire Monsieur ?

— Savoir si vous avez vu passer un jeune gentilhomme de quinze ans, monté sur un cheval alezan et suivi d’un laquais.

— Le