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bruit du canon, le prince avait tout compris. L’ennemi avait dû passer la Lys à Saint-Venant et marchait sur Lens, dans l’intention sans doute de s’emparer de cette ville et de séparer l’armée française de la France. Ce canon qu’on entendait, dont les détonations dominaient de temps en temps les autres, c’étaient des pièces de gros calibre qui répondaient au canon espagnol et lorrain.

Mais de quelle force était cette troupe ? Était-ce un corps destiné à produire une simple diversion ? était-ce l’armée tout entière ? C’était la dernière question du prince, à laquelle il était impossible à de Guiche de répondre. Or, comme c’était la plus importante, c’était aussi celle à laquelle surtout le prince eût désiré une réponse exacte, précise, positive.

Raoul alors surmonta le sentiment bien naturel de timidité qu’il sentait, malgré lui, s’emparer de sa personne en face du prince, et se rapprochant de lui :

— Monseigneur me permettra-t-il de hasarder sur ce sujet quelques paroles qui peut-être le tireront d’embarras ? dit-il.

Le prince se retourna et sembla envelopper tout entier le jeune homme dans un seul regard ; il sourit en reconnaissant en lui un enfant de quinze ans à peine.

— Sans doute, monsieur, parlez, dit-il en adoucissant sa voix brève et accentuée, comme s’il eût cette fois adressé la parole à une femme.

— Monseigneur, répondit Raoul en rougissant, pourrait interroger le prisonnier espagnol.

— Vous avez fait un prisonnier espagnol ? s’écria le prince.

— Oui, Monseigneur.

— Ah ! c’est vrai, répondit de Guiche, je l’avais oublié.

— C’est tout simple, c’est vous qui l’avez fait, comte, dit Raoul en souriant.

Le vieux maréchal se retourna vers le vicomte reconnaissant de cet éloge donné à son fils, tandis que le prince s’écriait :

— Le jeune homme a raison, qu’on amène le prisonnier.

Pendant ce temps, le prince prit de Guiche à part et l’interrogea sur la manière dont ce prisonnier avait été fait et lui demanda quel était ce jeune homme.

— Monsieur, dit le prince en revenant vers Raoul, je sais que vous avez une lettre de ma sœur, Mme  de Longueville, mais je vois que vous avez préféré vous recommander vous-même en me donnant un bon avis.

— Monseigneur, dit Raoul en rougissant, je n’ai point voulu interrompre Votre Altesse dans une conversation aussi importante que celle qu’elle avait entamée avec M. le comte. Mais voici la lettre.

— C’est bien, dit le prince, vous me la donnerez plus tard. Voici le prisonnier, pensons au plus pressé.

En effet on amenait le partisan. C’était un de ces condottieri comme il en restait encore à cette époque, vendant leur sang à qui voulait l’acheter et vieilli dans la ruse et le pillage. Depuis qu’il avait été pris, il n’avait pas prononcé une seule parole, de sorte que ceux qui l’avaient pris ne savaient pas eux-mêmes à quelle nation il appartenait.

Le prince le regarda d’un air d’indicible défiance.

— De quelle nation es-tu ? demanda le prince.

Le prisonnier répondit quelques mots en langue étrangère.

— Ah ! ah ! il paraît qu’il est espagnol. Parlez-vous espagnol, Grammont ?

— Ma foi, monseigneur, fort peu.

— Et moi, pas du tout, dit le prince en riant ; Messieurs, ajouta-t-il en se retournant vers ceux qui l’environnaient, y a-t-il