Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/283

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— Ma foi, dit d’Artagnan à ses deux amis, vous avez raison de lui vouloir du mal, à ce Mazarin, car, de son côté, je vous le jure, il ne vous veut pas de bien.

— Bah ! vraiment ? dit Athos. Si je croyais que ce drôle me connût par mon nom, je me ferais débaptiser, de peur qu’on ne crût que je le connais, moi.

— Il ne vous connaît point par votre nom, mais par vos faits : il sait qu’il y a deux gentilshommes qui ont plus particulièrement contribué à l’évasion de M. de Beaufort, et il les fait chercher activement, je vous en réponds.

— Par qui ?

— Par moi.

— Comment par vous ?

— Oui, il m’a encore envoyé chercher ce matin pour me demander si j’avais quelque renseignement.

— Sur ces deux gentilshommes ?

— Oui.

— Et que lui avez-vous répondu ?

— Que je n’en avais pas encore, mais que je dînais avec deux personnes qui pourraient m’en donner.

— Vous lui avez dit cela ? dit Porthos avec son gros rire épanoui sur sa large figure. Bravo ! Et cela ne vous fait pas peur, Athos ?

— Non, dit Athos, ce n’est pas la recherche du Mazarin que je redoute.

— Vous ? reprit Aramis. Dites-moi un peu ce que vous redoutez.

— Rien, dans le présent du moins, c’est vrai.

— Et dans le passé ? dit Porthos.

— Ah ! dans le passé, c’est autre chose, dit Athos avec un soupir ; dans le passé et dans l’avenir.

— Est-ce que vous craignez pour votre jeune Raoul ? demanda Aramis.

— Bon ! dit d’Artagnan, on n’est jamais tué à la première affaire.

— Ni à la seconde, dit Aramis.

— Ni à la troisième, dit Porthos. D’ailleurs, quand on est tué, on en revient, et la preuve c’est que nous voilà.

— Non, dit Athos, ce n’est pas Raoul non plus qui m’inquiète, car il se conduira, je l’espère, en gentilhomme, et s’il est tué, eh bien ! ce sera bravement ; mais tenez, si ce malheur lui arrivait, eh bien…

Athos passa la main sur son front pâle.

— Eh bien ? demanda Aramis.

— Eh bien ! je regarderais ce malheur comme une expiation.

— Ah ! ah ! dit d’Artagnan, je sais ce que vous voulez dire.

— Et moi aussi, dit Aramis ; mais il ne faut pas songer à cela, Athos ; le passé est passé.

— Je ne comprends pas, dit Porthos.

— L’affaire d’Armentières, dit tout bas d’Artagnan.

— L’affaire d’Armentières ? demanda celui-ci.

— Milady…

— Ah ! oui, dit Porthos, c’est vrai, je l’avais oubliée, moi.

Athos le regarda de son œil profond.

— Vous l’avez oubliée, vous, Porthos ? dit-il.

— Ma foi, oui ! dit Porthos, il y a longtemps de cela.

— La chose ne pèse donc point à votre conscience ?

— Ma foi, non, dit Porthos.

— Et à vous, Aramis ?

— Mais, j’y pense parfois, dit Aramis, comme à un des cas de conscience qui prêtent le plus à la discussion.

— Et à vous, d’Artagnan ?

— Moi, j’avoue que lorsque mon esprit s’arrête sur cette époque terrible, je n’ai de souvenirs que pour le corps glacé de cette pauvre Mme  Bonacieux. Oui, oui, murmura-t-il, j’ai eu bien des fois des regrets pour la victime, jamais de remords pour son assassin.

Athos secoua la tête d’un air de doute.

— Songez, dit Aramis, que si vous admettez la justice divine et sa participation aux choses de ce monde, cette femme a été punie de par la volonté de Dieu. Nous avons été les instruments, voilà tout.

— Mais le libre arbitre, Aramis ?

— Que fait le juge ? il a son libre arbitre et il condamne sans crainte. Que fait le bourreau ? Il est maître de son bras, et cependant il frappe sans remords.

— Le bourreau… murmura Athos, et l’on vit qu’il s’arrêtait à un souvenir.

— Je