Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/321

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De Winter lui serra la main.

— Grimaud, dit Athos, mets-toi à la tête de la troupe et gare au moine.

Grimaud tressaillit, puis il fit un signe de tête et attendit le départ en caressant avec une éloquence silencieuse la crosse de son mousqueton.

— À demain, comte, dit de Winter.

— Oui, milord.

La petite troupe s’achemina vers la rue Saint-Louis, Olivain tremblant comme Sosie à chaque reflet de lumière équivoque, Blaisois assez ferme parce qu’il ignorait qu’on courût un danger quelconque, Tomy regardant à droite et à gauche, mais ne pouvant dire une parole, attendu qu’il ne parlait pas français. De Winter et Raoul marchaient côte à côte et causaient ensemble.

Grimaud, qui, selon l’ordre d’Athos, avait précédé le cortége, le flambeau d’une main et le mousqueton de l’autre, arriva devant l’hôtellerie de de Winter, frappa du poing à la porte, et lorsqu’on fut venu ouvrir, salua milord sans rien dire. Il en fut de même pour le retour : les yeux menaçants de Grimaud ne virent rien de suspect qu’une espèce d’ombre embusquée au coin de la rue Guénégaud et du quai ; il lui sembla qu’en passant il avait déjà remarqué ce guetteur de nuit qui attirait ses yeux. Il piqua vers lui ; mais, avant qu’il eût pu l’atteindre, l’ombre avait disparu dans une ruelle où Grimaud ne pensa point qu’il fût prudent de s’engager.

On rendit compte à Athos du succès de l’expédition ; et comme il était dix heures du soir, chacun se retira dans son appartement.

Le lendemain, en ouvrant les yeux, ce fut le comte, à son tour, qui aperçut Raoul à son chevet. Le jeune homme était tout habillé et lisait un livre nouveau de M. Chapelain.

— Déjà levé, Raoul ? dit le comte.

— Oui, monsieur, répondit le jeune homme avec une légère hésitation. J’ai mal dormi.

— Vous, Raoul ! vous avez mal dormi ! quelque chose vous préoccupait donc ? demanda Athos.

— Monsieur, vous allez dire que j’ai bien grande hâte de vous quitter, quand je viens d’arriver à peine, mais…

— Vous n’aviez donc que deux jours de congé, Raoul ?

— Au contraire, Monsieur, j’en ai dix ; aussi n’est-ce point au camp que je désirerais aller.

Athos sourit.

— Où donc, dit-il, à moins que ce ne soit un secret, vicomte ? Vous voilà presque un homme, puisque vous avez fait vos premières armes, et vous avez conquis le droit d’aller où vous voulez sans me le dire.

— Jamais, monsieur, dit Raoul, tant que j’aurai le bonheur de vous avoir pour protecteur, je ne croirai avoir le droit de m’affranchir d’une tutelle qui m’est si chère. J’aurais donc le désir d’aller passer un jour à Blois seulement. Vous me regardez et vous allez rire de moi.

— Non, au contraire, dit Athos en étouffant un soupir ; non, je ne ris pas, vicomte. Vous avez envie de revoir Blois, mais c’est tout naturel !

— Ainsi, vous me le permettez ? s’écria Raoul tout joyeux.

— Assurément, Raoul.

— Au fond du cœur, Monsieur, vous n’êtes point fâché ?

— Pas du tout. Pourquoi serais-je fâché de ce qui vous fait plaisir ?

— Ah ! monsieur, que vous êtes bon ! s’écria le jeune homme faisant un mouvement pour sauter au cou d’Athos ; mais le respect l’arrêta.

Athos lui ouvrit ses bras.

— Ainsi je puis partir tout de suite ?

— Quand vous voudrez, Raoul.