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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/330

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nous avons d’analogie l’un avec l’autre. Cette espèce de Sosie m’ennuie et me fait ombre ; d’ailleurs, c’est un brouillon qui perdra notre parti. Je suis convaincu que si je lui donnais un soufflet, comme j’ai fait ce matin à ce petit bourgeois qui m’avait éclaboussé, cela changerait la face des affaires.

— Et moi, mon cher Aramis, répondit tranquillement Athos, je crois que cela ne changerait que la face de M. de Retz. Ainsi, croyez-moi, laissons les choses comme elles sont, d’ailleurs, vous ne vous appartenez plus ni l’un ni l’autre. Vous êtes à la reine d’Angleterre, et lui à la Fronde. Donc, si la seconde chose que vous regrettez de ne pouvoir accomplir n’est pas plus importante que la première…

— Oh ! celle-là était fort importante.

— Alors faites-la tout de suite.

— Malheureusement je ne suis pas libre de la faire à l’heure que je veux. C’était au soir, tout à fait au soir.

— Je comprends, dit Athos en souriant, à minuit.

— À peu près.

— Que voulez-vous, mon cher, ce sont choses qui se remettent, que ces choses-là, et vous la remettrez, ayant surtout une pareille excuse à donner à votre retour…

— Oui, si je reviens.

— Si vous ne revenez pas, que vous importe ? Soyez donc un peu raisonnable. Voyons, Aramis, vous n’avez plus vingt ans, mon cher ami.

— À mon grand regret, mordieu ! Ah ! si je les avais !

— Oui, dit Athos, je crois que vous feriez de bonnes folies ! Mais il faut que nous nous quittions : j’ai, moi, une ou deux visites à faire et une lettre à écrire ; revenez donc me prendre à huit heures, ou plutôt voulez-vous que je vous attende à souper à sept ?

— Fort bien, j’ai, moi, dit Aramis, vingt visites à faire et autant de lettres à écrire.

Et sur ce ils se quittèrent. Athos alla faire une visite à Mme de Vendôme, déposa son nom chez Mme de Chevreuse et écrivit à d’Artagnan la lettre suivante :


« Cher ami, je pars avec Aramis pour une affaire d’importance. Je voudrais vous faire mes adieux, mais le temps me manque. N’oubliez pas que je vous écris pour vous répéter combien je vous aime. Raoul est allé à Blois, et il ignore mon départ. Veillez sur lui en mon absence du mieux qu’il vous sera possible, et si par hasard vous n’avez pas de mes nouvelles d’ici à trois mois, dites-lui qu’il ouvre un paquet cacheté à son adresse, qu’il trouvera à Blois dans ma cassette de bronze, dont je vous envoie la clé. Embrassez Porthos pour Aramis et pour moi. Au revoir, peut-être adieu. »


Et il fit porter la lettre par Blaisois.

À l’heure convenue, Aramis arriva : il était en cavalier et avait au côté cette ancienne épée qu’il avait tirée si souvent et qu’il était plus que jamais prêt à tirer.

— Ah çà ! dit-il, je crois que décidément nous avons tort de partir ainsi, sans laisser un petit mot d’adieu à Porthos et à d’Artagnan.

— C’est chose faite, cher ami, dit Athos, et j’y ai pourvu ; je les ai embrassés tous deux, pour vous et pour moi.

— Vous êtes un homme admirable, mon cher comte, dit Aramis, et vous pensez à tout.

— Eh bien ! avez-vous pris votre parti de ce voyage ?

— Tout à fait, et maintenant que j’y ai réfléchi, je suis aise de quitter Paris en ce moment.

— Et moi aussi, répondit Athos ; seulement je regrette de ne pas avoir embrassé d’Artagnan, mais le démon est si fin qu’il eût deviné nos projets.

À la fin du souper, Blaisois rentra.

— Monsieur, voici la réponse de M. d’Artagnan.

— Mais je ne t’ai pas