Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/349

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D’Artagnan se pencha sur le cou de son cheval. Le jeune homme fit feu : la balle coupa la plume de son chapeau. Le cheval emporté heurta l’imprudent qui, à lui seul, essayait d’arrêter une tempête, et l’envoya tomber contre la muraille. D’Artagnan arrêta son cheval court, et tandis que ses mousquetaires continuaient de charger, il revint l’épée haute sur celui qu’il avait renversé.

— Ah ! monsieur, cria Raoul, qui reconnaissait le jeune homme pour l’avoir vu rue Cocatrix ; monsieur, épargnez-le, c’est son fils.

D’Artagnan retint son bras prêt à frapper.

— Ah ! vous êtes son fils, dit-il ; c’est autre chose.

— Monsieur, je me rends, dit Louvières tendant à l’officier son arquebuse déchargée.

— Eh non ! ne vous rendez pas, mordieu ! filez au contraire et promptement ; si je vous prends, vous serez pendu.

Le jeune homme ne se le fit pas dire deux fois ; il passa sous le cou du cheval et disparut au coin de la rue Guénégaud.

— Ma foi, dit d’Artagnan à Raoul, il était temps que vous m’arrêtiez la main, c’était un homme mort, et ma foi, quand j’aurais su qui il était, j’eusse eu du regret de l’avoir tué.

— Ah ! monsieur, dit Raoul, permettez qu’après vous avoir remercié pour ce pauvre garçon, je vous remercie pour moi : moi aussi, monsieur, j’allais mourir quand vous êtes arrivé.

— Attendez, attendez, jeune homme, et ne vous fatiguez pas à parler.

Puis tirant d’une de ses fontes un flacon plein de vin d’Espagne :

— Buvez deux gorgées de ceci, dit-il.

Raoul but, et voulut renouveler ses remerciements.

— Cher, dit d’Artagnan, nous parlerons de cela plus tard.

Puis, voyant que les mousquetaires avaient balayé le quai depuis le Pont-Neuf jusqu’au quai Saint-Michel et qu’ils revenaient, il leva son épée pour qu’ils doublassent le pas. Les mousquetaires arrivèrent au trot ; en même temps, de l’autre côté du quai arrivaient les dix hommes d’escorte que d’Artagnan avait donnés à Comminges.

— Holà ! dit d’Artagnan s’adressant à ceux-ci, est-il arrivé quelque chose de nouveau ?

— Eh, monsieur, dit le sergent, leur carosse s’est encore brisé une fois ; c’est une véritable malédiction.

D’Artagnan haussa les épaules.

— Ce sont des maladroits, dit-il ; quand on choisit un carosse, il faut qu’il soit solide ; le carosse avec lequel on arrête un Broussel doit pouvoir porter dix mille hommes.

— Qu’ordonnez-vous, mon lieutenant ?

— Prenez le détachement et conduisez-le au quartier.

— Mais vous vous retirez donc seul ?

— Certainement. Ne croyez-vous pas que j’aie besoin d’escorte ?

— Cependant…

— Allez donc.

Les mousquetaires partirent et d’Artagnan demeura seul avec Raoul.

— Maintenant, souffrez-vous ? lui dit-il.

— Oui, monsieur ; j’ai la tête lourde et brûlante.

— Qu’y a-t-il donc à cette tête ? dit d’Artagnan levant le chapeau. Ah ! une contusion.

— Oui, j’ai reçu, je crois, un pot de fleurs sur la tête.

— Canaille ! dit d’Artagnan. Mais vous avez des éperons, étiez-vous donc à cheval ?

— Oui, mais j’en suis descendu pour défendre M. de Comminges, et mon cheval a été pris. Et tenez, le voici.

En effet, en ce moment même le cheval de Raoul passait monté par Friquet,