Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui courait au galop, agitant son bonnet de quatre couleurs et criant : Broussel ! Broussel !

— Holà ! arrête, drôle ! cria d’Artagnan, amène ici ce cheval.

Friquet entendit bien, mais il fit semblant de ne pas entendre, et essaya de continuer son chemin. D’Artagnan eut un instant envie de courir après maître Friquet, mais il ne voulut point laisser Raoul seul ; il se contenta donc de prendre un pistolet dans ses fontes et de l’armer. Friquet avait l’œil vif et l’oreille fine, il vit le mouvement de d’Artagnan, entendit le bruit du chien ; il arrêta son cheval tout court.

— Ah ! c’est vous, monsieur l’officier, s’écria-t-il en venant à d’Artagnan, et je suis en vérité bien aise de vous rencontrer.

D’Artagnan regarda Friquet avec attention et reconnut le petit garçon de la rue de la Calandre.

— Ah ! c’est toi, drôle, dit-il ; viens ici.

— Oui, c’est moi, monsieur l’officier, dit Friquet de son air câlin.

— Tu as donc changé de métier ? tu n’es donc plus enfant de chœur ? tu n’es donc plus garçon de taverne ? tu es voleur de chevaux ?

— Ah ! monsieur l’officier, peut-on dire ! s’écria Friquet, je cherchais le gentilhomme auquel appartient ce cheval, un beau cavalier brave comme un César. Il fit semblant d’apercevoir Raoul pour la première fois… Ah mais ! je ne me trompe pas, continua-t-il, le voici. Monsieur, vous n’oublierez pas la leçon, n’est-ce pas ?

Raoul mit la main à sa poche.

— Qu’allez-vous faire ? dit d’Artagnan.

— Donner dix livres à ce brave garçon, répondit Raoul en tirant une pistole de sa poche.

— Dix coups de pied dans le ventre, dit d’Artagnan. Va-t’en, drôle ! et n’oublie pas que j’ai ton adresse.

Friquet, qui ne s’attendait pas à en être quitte à si bon marché, ne fit qu’un bond du quai à la rue Dauphine, où il disparut. Raoul remonta sur son cheval, et tous deux marchant au pas, d’Artagnan gardant le jeune homme comme si c’était son fils, prirent le chemin de la rue Tiquetonne.

Tout le long de la route il y eut de sourds murmures et de lointaines menaces, mais, à l’aspect de cet officier à la tournure si militaire, à la vue de cette puissante épée qui pendait à son poignet soutenue par sa dragonne, on s’écarta constamment, et aucune tentative sérieuse ne fut faite contre les deux cavaliers.

On arriva donc sans accident à l’hôtel de la Chevrette.

La belle Madeleine annonça à d’Artagnan que Planchet était de retour et avait emmené Mousqueton, lequel avait supporté héroïquement l’extraction de la balle et se trouvait aussi bien que le comportait son état.

D’Artagnan ordonna alors d’appeler Planchet ; mais si bien qu’on l’appelât, Planchet ne répondit point : il avait disparu.

— Alors du vin ! dit d’Artagnan.

Puis quand le vin fut apporté et que d’Artagnan fut seul avec Raoul :

— Vous êtes bien content de vous, n’est-ce pas ? dit-il en le regardant entre les deux yeux.

— Mais oui, dit Raoul ; il me semble que j’ai fait mon devoir. N’ai-je pas défendu le roi ?

— Et qui vous a dit de défendre le roi ?

— Mais le comte de la Fère lui-même.

— Oui, le roi ; mais aujourd’hui vous n’avez pas défendu le roi, vous avez défendu Mazarin, ce qui n’est pas la même chose.

— Mais,