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Comminges était près de la reine, qui l’interrogeait sur les détails de son expédition, et chacun écoutait son récit, lorsqu’il aperçut à la porte, derrière le cardinal qui entrait, d’Artagnan et Porthos.

— Eh ! madame, dit-il, courant à d’Artagnan, voici quelqu’un qui peut vous dire cela mieux que moi, car c’est mon sauveur. Sans lui, je serais probablement dans ce moment arrêté aux filets de Saint-Cloud, car il ne s’agissait de rien moins que de me jeter à la rivière. Parlez, d’Artagnan, parlez.

Depuis qu’il était lieutenant aux mousquetaires, d’Artagnan s’était trouvé cent fois peut-être dans le même appartement que la reine, mais jamais celle-ci ne lui avait parlé.

— Eh bien, monsieur, après m’avoir rendu un pareil service, vous vous taisez ? dit Anne d’Autriche.

— Madame, répondit d’Artagnan, je n’ai rien à dire sinon que ma vie est au service de Votre Majesté, et que je ne serai heureux que le jour où je la perdrai pour elle.

— Je sais cela, monsieur, je sais cela, et depuis longtemps. Aussi suis-je charmée de pouvoir vous donner cette marque publique de mon estime et de ma reconnaissance.

— Permettez-moi, madame, dit d’Artagnan, d’en reverser une part sur mon ami, ancien mousquetaire de la compagnie de Tréville, comme moi (il appuya sur ces mots), et qui a fait des merveilles, ajouta-t-il.

— Le nom de monsieur ? demanda la reine.

— Aux mousquetaires, dit d’Artagnan, il s’appelait Porthos (la reine tressaillit), mais son véritable nom est le chevalier du Vallon.

— De Bracieux de Pierrefonds, ajouta Porthos.

— Ces noms sont trop nombreux pour que je me les rappelle tous, et je ne veux me souvenir que du premier, dit gracieusement la reine.

Porthos salua. D’Artagnan fit deux pas en arrière.

En ce moment on annonça le coadjuteur.

Il y eut un cri de surprise dans la royale assemblée. Quoique M. le coadjuteur eût prêché le matin même, on savait qu’il penchait fort du côté de la Fronde, et Mazarin, en demandant à M. l’archevêque de Paris de faire prêcher son neveu, avait eu évidemment l’intention de porter à M. de Retz une de ces bottes à l’italienne qui le réjouissaient si fort.

En effet, au sortir de Notre-Dame, le coadjuteur avait appris l’évènement. Quoique à peu près engagé avec les principaux frondeurs, il ne l’était point assez qu’il ne pût faire retraite si la cour lui offrait les avantages qu’il ambitionnait et auxquels la coadjutorerie n’était qu’un acheminement. M. de Retz voulait être archevêque en remplacement de son oncle, et cardinal comme Mazarin. Or, le parti populaire pouvait difficilement lui accorder ces faveurs toutes royales. Il se rendait donc au palais pour faire son compliment à la reine sur la bataille de Lens, déterminé d’avance à agir pour ou contre la cour selon que son compliment serait bien ou mal reçu.

Le coadjuteur fut donc annoncé ; il entra, et, à son aspect, toute cette cour triomphante redoubla de curiosité pour entendre ses paroles. Le coadjuteur avait à lui seul à peu près autant d’esprit que tous ceux qui étaient réunis là pour se moquer de lui. Aussi son discours fut-il si parfaitement habile que si bonne envie que les assistants eussent d’en rire, ils n’y trouvèrent point prise. Il termina en disant qu’il mettait sa faible puissance au service de Sa Majesté.

La reine parut, tout le temps qu’elle dura, goûter fort la harangue de M. le