Aller au contenu

Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/369

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

coin du cimetière des Innocents, et les bourgeois de Louvières au coin de la rue de la Monnaie.

Le maréchal de La Meilleraie était pris entre trois feux.

Le maréchal de La Meilleraie était brave, aussi résolut-il de mourir où il était. Il rendit coups pour coups, et les hurlements de douleur commencèrent à retentir dans la foule. Les gardes, mieux exercés, tiraient plus juste ; mais les bourgeois, plus nombreux, les écrasaient sous un véritable ouragan de fer. Les hommes tombaient autour de lui comme ils auraient pu tomber à Rocroy ou à Lérida. Fontrailles, son aide de camp, avait le bras cassé ; son cheval avait reçu une balle dans le cou, et il avait grand’peine à le maîtriser, car la douleur le rendait presque fou. Enfin, il en était à ce moment suprême où le plus brave sent le frisson dans ses veines et la sueur à son front, lorsque tout à coup la foule s’ouvrit du côté de la rue de l’Arbre-Sec, en criant : Vive le coadjuteur ! et Gondy, en rochet et en camail, parut passant tranquille au milieu de la fusillade, et distribuant à droite et à gauche ses bénédictions avec autant de calme que s’il conduisait la procession de la Fête-Dieu.

Tout le monde tomba à genoux. Le maréchal le reconnut et courut à lui.

— Tirez-moi d’ici, au nom du ciel, dit-il, ou j’y laisserai ma peau et celle de tous mes hommes.

Il se faisait un tumulte au milieu duquel on n’eût pas entendu gronder le tonnerre du ciel. Gondy leva la main et réclama le silence. On se tut.

— Mes enfants, dit-il, voici M. le maréchal de La Meilleraie, aux intentions duquel vous vous êtes trompés, et qui s’engage en rentrant au Louvre à demander en votre nom à la reine la liberté de notre Broussel… Vous y engagez-vous, maréchal ? ajouta Gondy en se tournant vers La Meilleraie.

— Morbleu ! s’écria celui-ci, je le crois bien, que je m’y engage ! Je n’espérais pas en être quitte à si bon marché.

— Il vous donne sa parole de gentilhomme, dit Gondy.

Le maréchal leva la main en signe d’assentiment.

— Vive le coadjuteur ! cria la foule. Quelques voix ajoutèrent même : Vive le maréchal ! mais toutes reprirent en chœur : À bas Mazarin !

La foule s’ouvrit ; le chemin de la rue Saint-Honoré était le plus court. On ouvrit les barricades, et le maréchal et le reste de sa troupe firent retraite, précédés par Friquet et ses bandits, les uns faisant semblant de battre le tambour, les autres imitant le son de la trompette.

Ce fut presque une marche triomphale ; seulement derrière les gardes les barricades se refermaient ; le maréchal rongeait ses poings.

Pendant ce temps, comme nous l’avons dit, Mazarin était dans son cabinet, mettant ordre à ses petites affaires. Il avait fait demander d’Artagnan, mais, au milieu de tout ce tumulte, il n’espérait pas le voir, d’Artagnan n’étant pas de service. Au bout de dix minutes le lieutenant parut sur le seuil, suivi de son inséparable Porthos.

— Ah ! venez, venez, monsou d’Artagnan, s’écria le cardinal, et soyez le bienvenu, ainsi que votre ami. Mais que se passe-t-il donc dans ce damné Paris ?

— Ce qui se passe, monseigneur ? rien de bon, dit d’Artagnan en hochant la tête ; la ville est en pleine révolte, et tout à l’heure, comme je traversais la rue Mon-