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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/370

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torgueil avec M. du Vallon que voici et qui est bien votre serviteur, malgré mon uniforme et peut-être même à cause de mon uniforme, on a voulu nous faire crier : Vive Broussel ! et faut-il que je dise, monseigneur, ce qu’on a voulu nous faire crier encore ?

— Dites, dites.

— À bas Mazarin ! Ma foi, voilà le mot lâché.

Mazarin sourit, mais devint fort pâle.

— Et vous avez crié ? dit-il.

— Ma foi, non, dit d’Artagnan, je n’étais pas en voix ; M. du Vallon est enrhumé et n’a pas crié non plus. Alors, monseigneur…

— Alors quoi ? demanda Mazarin.

— Regardez mon chapeau et mon manteau.

Et d’Artagnan montra quatre trous de balle dans son manteau et deux dans son feutre. Quant à l’habit de Porthos, un coup de hallebarde l’avait ouvert sur le flanc, et un coup de pistolet avait coupé sa plume.

— Diavolo ! dit le cardinal pensif et regardant les deux amis avec une naïve admiration, j’aurais crié, moi !

En ce moment le tumulte retentit plus rapproché.

Mazarin s’essuya le front en regardant autour de lui. Il avait bonne envie d’aller à la fenêtre, mais il n’osait.

— Voyez donc ce qui se passe, monsieur d’Artagnan, dit-il.

D’Artagnan alla à la fenêtre avec son insouciance habituelle.

— Oh ! oh ! dit-il, qu’est-ce que cela ? le maréchal de La Meilleraie qui revient sans chapeau, Fontrailles qui porte son bras en écharpe, des gardes blessés, des chevaux tout en sang… Eh mais, que font donc les sentinelles ? elles mettent en joue, elles vont tirer !

— On leur a donné la consigne de tirer sur le peuple, s’écria Mazarin, si le peuple approchait du Palais-Royal.

— Mais si elles font feu, tout est perdu, s’écria d’Artagnan.

— Nous avons les grilles, observa Mazarin.

— Les grilles ! il y en a pour cinq minutes ; les grilles ! elles seront arrachées, tordues, broyées ! Ne tirez pas, mordieu ! s’écria d’Artagnan en ouvrant la fenêtre.

Malgré cette recommandation, qui, au milieu du tumulte, n’avait pu être entendue, trois ou quatre coups de mousquet retentirent ; puis une fusillade terrible leur succéda : on entendit cliqueter les balles sur la façade du Palais-Royal ; une d’elles passa sous le bras de d’Artagnan et alla briser une glace dans laquelle Porthos se mirait avec complaisance.

— Ohimè ! s’écria le cardinal ; une glace de Venise !

— Oh ! monseigneur, dit d’Artagnan en refermant tranquillement la fenêtre, ne pleurez pas encore, cela n’en vaut pas la peine, car il est probable que dans une heure il n’en restera pas une au Palais-Royal, de toutes vos glaces, qu’elles soient de Venise ou de Paris.

— Mais quel est donc votre avis, alors ? dit le cardinal tout tremblant.

— Eh morbleu ! de leur rendre Broussel, puisqu’ils vous le redemandent ! Que diable voulez-vous faire d’un conseiller au parlement ? ce n’est bon à rien !

— Et vous, monsieur du Vallon, est-ce votre avis ? Que feriez-vous ?

— Je rendrais Broussel, dit Porthos.

— Venez, venez, messieurs, s’écria Mazarin ; je vais parler de la chose à la reine.

Au bout du corridor il s’arrêta.

— Je puis compter sur vous, n’est-ce pas, messieurs ? dit-il.

— Nous ne nous donnons pas deux fois, dit d’Artagnan, nous nous sommes donnés à vous, ordonnez, nous obéirons.

— Eh bien ! entrez dans ce cabinet, et attendez.

Et faisant un détour, Mazarin entra dans le salon par une autre porte.