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Page:Dumas - Vingt ans après, 1846.djvu/372

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de cela ?

— Je pense que la chose est fort grave, madame.

— Mais quel conseil me proposez-vous ?

— J’en proposerais bien un à Votre Majesté, mais je n’ose.

— Osez, osez, monsieur, dit la reine avec un sourire amer, vous avez bien osé autre chose.

Le chancelier rougit et balbutia quelques mots.

— Il n’est pas question du passé, mais du présent, dit la reine. Vous avez dit que vous aviez un conseil à me donner, quel est-il ?

— Madame, dit le chancelier en hésitant, ce serait de relâcher Broussel.

La reine, quoique très pâle, pâlit visiblement encore, et sa figure se contracta.

— Relâcher Broussel, dit-elle, jamais !

En ce moment on entendit des pas dans la salle précédente, et, sans être annoncé, le maréchal de La Meilleraie parut sur le seuil de la porte.

— Ah ! vous voilà, maréchal ! s’écria Anne d’Autriche avec joie. Vous avez mis toute cette canaille à la raison, j’espère ?

— Madame, dit le maréchal, j’ai laissé trois hommes au Pont-Neuf, quatre aux halles, six au coin de la rue de l’Arbre-Sec et deux à la porte de votre palais, en tout quinze. Je ramène dix ou douze blessés. Mon chapeau est resté je ne sais où, emporté par une balle, et selon toute probabilité je serais resté avec mon chapeau, sans M. le coadjuteur, qui est venu et qui m’a tiré d’affaire.

— Ah ! au fait, dit la reine, cela m’eût étonnée de ne pas voir ce basset à jambes torses mêlé dans tout cela.

— Madame, dit La Meilleraie en riant, n’en dites pas trop de mal devant moi, car le service qu’il m’a rendu est encore tout chaud.

— C’est bon, dit la reine, soyez-lui reconnaissant tant que vous voudrez ; mais cela ne m’engage pas, moi. Vous voilà sain et sauf, c’est tout ce que je désirais ; soyez non-seulement le bienvenu, mais le bien revenu.

— Oui, madame ; mais je suis le bien revenu à une condition : c’est que je vous transmettrai les volontés du peuple.

— Des volontés ! dit Anne d’Autriche en fronçant le sourcil. Oh ! oh ! monsieur le maréchal, il faut que vous vous soyez trouvé dans un bien grand danger, pour vous charger d’une ambassade si étrange…

Et ces mots furent prononcés avec un accent d’ironie qui n’échappa point au maréchal.

— Pardon, madame, dit le maréchal, je ne suis pas avocat, je suis homme de guerre, et par conséquent peut-être je comprends mal la valeur des mots ; c’est le désir et non la volonté du peuple que j’aurais dû dire. Quant à ce que vous me faites l’honneur de me répondre, je crois que vous voulez dire que j’ai eu peur.

La reine sourit.

— Eh bien ! oui, madame, j’ai eu peur ; c’est la troisième fois de ma vie que cela m’arrive, et cependant je me suis trouvé à douze batailles rangées et je ne sais combien de combats et d’escarmouches ; oui, j’ai eu peur, et j’aime mieux être en face de Votre Majesté, si menaçant que soit son sourire, qu’en face de ces démons d’enfer qui m’ont accompagné jusqu’ici et qui sortent je ne sais d’où.

— Bravo ! dit tout bas d’Artagnan à Porthos, bien répondu.

— Eh bien ! demanda la reine se mordant les lèvres tandis que les courtisans se regardaient avec étonnement, quel est ce désir de mon peuple ?

— Qu’on lui rende Broussel, madame, dit le maréchal.

— Jamais, dit la reine, jamais !

— Votre Majesté est la maîtresse, dit La Meilleraie saluant en faisant un pas en ar-